1764-10-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

J'ai parcouru, mon cher frère, la critique des sept volumes de l'enciclopédie.
Je voudrais bien savoir qui sont les gadouards qui se sont éfforcés de vider le privé d'un vaste palais dans lequel ils ne peuvent être reçus. Je leur apliquerai ce que l'Electeur palatin me fesait l'honneur de m'écrire au sujet de maître Aliboron, Tel qui critique l'église de st Pierre de Rome, n'est pas en état de dessiner une église de village. Belles paroles, et bien sensées, et qui prouvent que la raison a encor des protecteurs dans le monde.

Je crois que le public ne se souciera guères qu'une des îles Mariamnes s'appelle Agrignon ou Agrigan, ni qu'il faille prononcer Barassa ou Bossera. Mais je crains que les ennemis de la philosophie ne regardent cette critique comme un triomphe pour eux.

Je suis surtout indigné de la manière dont on traitte mr D'Alembert, page 172 et 178.

Pour Mr Diderot il est maltraitté dans tout l'ouvrage. Ce qu'il y a de pis, c'est que ces misérables sonnent le tocsin; ils sont bien moins critiques que délateurs, ils rappellent à la fin du livre quatre articles des arrêts du conseil et du parlement contre l'enciclopédie. Ils ressemblent à des inquisiteurs qui livrent des philosophes au bras séculier. Voilà donc la persécution visiblement établie, et si on ne rend pas ces sattelites de l'envie aussi odieux et aussi méprisables qu'ils doivent l'être, les pauvres amis de la raison courent grand risque. Je ne conçois pas que parmi tant de gens de lettres qui ont tous le même intérêt, il n'y en ait pas un qui s'empresse à porter aumoins un peu d'eau quand il voit la maison de ses voisins en flamme. La sienne sera bientôt embrasée, et alors, il ne sera plus temps de chercher du secours.

Je voudrais bien que Mr D'Alembert suspendit pour quelques jours ses autres occupations, et que sans se faire connaître, sans se compromettre, il fit, selon son usage, quelque ouvrage agréable et utile, dans lequel il daignerait faire voir en passant, l'insolence, la mauvaise foi, et la petitesse de ces messieurs. Il est comme Achille qui a quitté le camp des Grecs, mais il est temps qu'il s'arme et qu'il reprenne sa lance, je l'en prie comme le bon homme Phénix, et je vous prie de vous joindre à moi.

Il est assez triste que le dictionaire philosophique paraisse dans ce temps cy, et il est bien essentiel qu'on sache que je n'ai nulle part à cet ouvrage, dont la plus part des articles sont faits par des gens d'une autre religion et d'un autre païs.

Avez vous à Paris la traduction du plaidoier de l'Empereur Julien contre les Galliléens par le marquis D'Argens? Il serait à souhaiter que tous les fidèles eussent ce bréviaire dans leur poche.

Adieu, mon cher frère, recommandez moi aux prières des fidèles, et surtout Ecr: L'inf: