à Ferney 7e 8bre 1765
Monsieur,
J'ai reçu une Lettre du provincial des Capucins de Chambéry, qui m'avertit qu'il y a chez moi un de ses moines, et qu'il poura le faire saisir.
Je me suis informé de mes gens s'il y avait quelque fondement à cette plainte. J'ai su qu'en éffet un Capucin de Savoye en habit séculier était venu demander chez moi un azile à mes domestiques, pendant que vous nous honoriez de vôtre présence. Il se plaignait d'avoir été cruellement maltraitté, et d'avoir été fouetté trois fois par semaine, pendant seize mois, avec une discipline de fer. S'il était repris, il serait renfermé nud dans un cachot, et chargé de chaines.
Je crois actuellement ce pauvre garçon à Genêve. Mais s'il revenait dans ma maison, je serais au désespoir qu'il y fût saisi, et livré à ses boureaux. Je me flatte qu'il n'est pas permis à un provincial des Capucins de Savoye, d'éxercer une telle jurisdiction dans le roiaume de France, et qu'aumoins il aurait recours à vôtre autorité.
J'ose vous demander vôtre protection, Monsieur, pour ce pauvre misérable qu'on persécute d'une manière si étrange. Les menaces qu'on lui fait allarment ma sensibilité. Je vous aurais beaucoup d'obligation si vous daigniez m'informer de vos ordres, en cas que cet homme revint à Ferney, et prévenir la douleur que j'aurais de le voir arrêter chez moi. C'est une grâce que j'ose attendre de vôtre humanité.
J'ai l'honneur d'être avec beaucoup de respect, Monsieur,
Vôtre très humble et très obéïssant serviteur
Voltaire gentilhome orde du roy