1771-09-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

Me trompé-je cette fois-ci?
Une flotte tout entière de mes amis les Turcs réduite en cendres dans le port de Lemnos! Le comte Alexis Orlof, maître de cette île! C’est ce qu’on me mande de Venise. Ces nouvelles retentissent dans les échos des Alpes, et nous répétons le nom de votre majesté impériale et du cte Orlof. Il me semble que c’est à peu près dans le même temps qu’une autre flotte fut consumée dans cette mer l’année passée. Voilà un bel anniversaire. On voit bien que Lemnos était en effet l’île de Vulcain. Ce dieu brûle vos ennemis.

Ah Moustapha, Moustapha! Eh bien, votre hautesse se jouera-t-elle encore à mon impératrice? Lui ordonnerez vous de vider sans délai la Podolie? Trouverez vous fort impertinent qu’elle n’ait pas obéi aux ordres de votre sublime Porte? Mettrez vous encore ses ministres en prison? Voilà mon auguste souveraine en possession de votre Tartarie Crimée, maîtresse de tous vos états au delà du Danube, maîtresse de toute votre mer Noire. Vous n’êtes point galant, Moustapha, vous deviez venir lui faire la cour, et baiser ses belles mains au lieu de lui faire la guerre. Croyez moi, demandez lui très humblement pardon; c’est ce que vous avez de mieux à faire.

Savez vous bien, monsieur Moustapha, que mon héroïne, occupée continuellement à vous battre, trouve encore le temps de m’écrire des lettres pleines d’esprit et de grâces? Vous douteriez vous par hasard de ce que signifient ces mots grâces et esprit? Elle a daigné me mander du 22 juillet, 3 auguste3 qu’on lui aurait l’obligation d’une carte géographique de la Crimée. On n’en a jamais eu de passable jusqu’à présent. Vous n’êtes pas géographes vous autres Turcs; vous possédez un beau pays, mais vous ne le connaissez pas. Mon impératrice le fera connaître.

Savez vous seulement où était le paradis terrestre? Moi je le sais, il est partout où est Catherine seconde. Prosternez vous avec moi à ses pieds.