1763-10-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bernard Louis Chauvelin.

Me voilà, Monsieur, redevenu Taupe.
Vôtre Excellence saura que dès qu'il neige sur nos belles montagnes, mes yeux deviennent d'un rouge charmant, et que j'aurais très bon air aux quinze-vingt. Celà me donne quelquefois de petits remords d'avoir bâti et planté entre le mont Jura et les alpes; mais enfin l'affaire est faitte, et il faut faire contre neige bon cœur, aussi bien que contre fortune.

Il n'y a pas moien de disputer contre Vôtre Excellence; je vous ai promis quelque chose pour le mois d'avril, Eh bien, attendez donc le mois d'avril. Vous m'avouerez que cet argument est assez bon; si vous avez commandé vôtre souper pour dix heures, devez vous gronder vôtre cuisinier de ce qu'il ne vous fait pas souper à huit? Cependant, je ne désespère pas d'avoir l'honneur de vous donner de petites étrennes. Vous autres ministres vous êtes discrêts, et il y a plaisir de se confier à vous. Il y en aurait bien d'avantage à vous faire sa cour.

Il est à croire qu'un ambassadeur à Turin, a lu le vicaire savoyard de Jean Jaques; et Vôtre Excellence est trop bien instruite des grands évênements de ce monde, pour ignorer que la moitié de la ville de Genêve a pris le parti de Jean Jaques contre le conseil de cette auguste République. On a parlé pendant quelques moments d'avoir recours à la médiation de la France. J'aurais fait alors une belle brigue, pour tâcher d'obtenir que vous eussiez daigné venir mettre la paix dans mon voisinage. J'aurais voulu aussi que madame L'ambassadrice partageât ce ministère; les genevois, en la voiant, auraient oublié toutes leurs querelles.

Je prie vos Excellences de me conserver toujours leurs bontés, et d'agréer le profond respect

du quinzevingt

V.