1764-09-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bernard Louis Chauvelin.

J'ai été si occupé de mon petit ex-jésuite, et ensuite si malingre que je n'ai pas remercié votre excellence de l'extrême bonté qu'elle a eue de daigner s'intéresser pour un gentilhomme savoyard.
Ce Savoyard nommé m. de la Balme fera tout ce qui lui plaira, il suivra s'il veut les bons conseils de votre excellence. Je vous présente mes très humbles remerciements et les siens, et reviens à mon défroqué. Il veut absolument justifier la bonne opinion que vous avez eue de son entreprise, il veut que ce drame soit aussi intéressant que politique. Ces deux avantages se trouvent rarement ensemble, témoin les douze ou treize dernières pièces du grand Corneille, qui raisonne, qui disserte et qui est bien loin de toucher. Notre petit drôle ajoute encore qu'il faut que le style soit de la plus grande pureté sans rien perdre de la force qui doit l'animer, ce qui est extrêmement difficile; que toute tragédie doit être remplie d'action, mais que cette action doit toujours produire dans l'âme de grands mouvements, et servir à développer des sentiments qui aient toute leur étendue, car c'est le sentiment qui doit régner, et sans lui une pièce n'est qu'une aventure froide récitée en dialogues. Enfin il veut vous plaire et il vous enverra sa pièce, que vous ne reconnaîtrez pas.

Malheureusement il n'y a point de rôle ni pour mlle Clairon de Paris, ni pour celle de Turin. Je me mets aux pieds de madame Chauvelin-Clairon dont il faut adorer les talents et les grâces. Que l'une et l'autre excellence conservent leurs bontés au vieux laboureur de Ferney qui a quitté le cothurne pour le semoir, et qui fait des infidélités à Melpomène en faveur de Cérès, mais qui ne vous en fera jamais.