1759-08-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Louis Lekain.

Mon cher et grand acteur, je bénis le roy qui vous donne des décorations pour votre beau téâtre.
Cela ressemble aux atheniens qui n'oubliaient pas les jeux publics, tandis qu'ils avaient la guerre contre les barbares. Vous croyez bien que je n'ay pas la vanité de penser que cette faveur soit pour moy. Sémiramis en jouira comme les autres pièces que vous embélissez. Vous aurez votre rideau en forme de pavillon, de baldaquin. C'est à vous qui êtes plein de goust à meubler la salle où l'on vous applaudit.

Si mademoiselle Gaussin adresse la parole à ce fripon de soldat qui conduit Zamore c'est apparemment pour avoir le plaisir de parler tantôt à Zamore tantôt à ce soldat, de varier son jeu, de se tourner tantôt vers son amant, tantôt vers le gredin. Mais l'esprit du fondateur était que la désolée Alzire s'adressât seulement à son brutal amant. Quand on parle à ce qu'on aime, on oublie son prochain, fut il soldat.

On dit toujours que je vas faisant des tragédies. C'est sans doute l'écrivain des nouvelles ecclésiastiques qui répand ces bruits scandaleux, afin qu'on ne m'enterre pas en terre sainte. Ces maroufles là ne disent ils pas que je suis l'auteur du drame de la mort de Socrate? tandis qu'il est visible que cette pièce de feu M. Tomson est traduitte cette année par feu mr Faitema qui mourut il y a deux ans.

Si j'avais assez de santé pour coucher dans la rue, et si j'aimais à mourir dans la presse je viendrais vous entendre à Lyon. Adieu mon cher le Kain, je ne suis qu'un architecte et qu'un laboureur. Mais étant devenu prêtre de Céres je suis toujours dévot à Melpomene, et à vous son sacristain.

V.

Ma nièce Denis qui par parenthèze fait pleurer les hérétiques, quand elle récite, vous fait mille compliments.