1755-04-02, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Marie Louise Denis.
Il faut bien qu'un Diable s'en mesle,
Il faut, de Genève à Paris,
Qu'il ait fait pleuvoir cent fois pis
Que de la Neige et de la gresle
Pour tant refroidir des amis;
Je me flattois d'estre le vostre
Après dix ans d'attachement:
Mais, hormis à moy seulement,
Vous faites réponse à tout autre;
Quand plein d'audance, en mes beaux jours,
Je risquois de tendres voyages
Sur la fresle nef des amours
J'erroy longtemps dans les orages:
Constant je trouvay des volages
Et je fus vingt fois oublié….
Mais vieux soldat licentié,
Qui vois les Ecueils du Rivage,
Dans le port sûr de l'amitié,
Ayje encore à craindre un naufrage?
D'un coeur tendre unique aliment,
Cendre du feu de ma jeunesse:
Reste de vie, ô sentiment,
Amitié soutient ma vieillesse!
On ne vit heureux qu'en aimant:
On meurt dès que rien n'intéresse.

Peutestre, Mde, m'avés vous fait l'honneur de m'écrire depuis le mois de Décembre et que vos Lettres auront été perdües: peutestre avés vous été assés sûre de moy pour croire, avant de me faire réponse, devoir contenter ceux qui pourroient se formaliser de vostre silence &c.

Je vis hier les décorations de vostre Tragédie; Servandoni nous représente sur le magnifique Théatre des Thuilleries les principales situations du Drame d'Alceste: mais il y manque vos vers pour faire parler dignement Alceste, Admete, Hercule &c.

Mes tendres regrets à mon illustre et ancien ami: ma tendresse et mon admiration pour luy seroient éternelle si je durois autant que sa renommée; qu'il a bien apelé son chateau les Delices, c'est le nom propre des lieux qu'il habite, et vous ne ferés Madame, qu'en confirmer le titre &c.