Colmar 17^e Mars 1762

L'examen des moeurs est digne d'un philosophe.
C'est par la Comparaison des nouvelles, et des anciennes qu'il juge des progréz de L'esprit humain. En causant un jour au coin de votre cheminée, je vous disois que L'on avoit flétri à Paris une Bulle d'un pape qui avoit permis de manger en Carême du Beurre, du fromage et des œufs; frappé de ce fait, vous me demandâtes où je L'avois lû. Co͞e j'ai eu de tout temps la paresse de ne faire ni nottes, ni Extrait de mes lectures je vous dis qu'il ne m'en souvenoit point. Vous jugeâtes le fait apocryphe. Or il ne l'est point. La bulle de dispense a été brûlée publiquement à Paris votre patrie en 1553 sous le règne d'Henry 2^ond prince galand mais fort religieux.

Preuves

Extrait de L'histoire de La ville de Paris tom.3, livre 13, page 273, édition de 1735 in 12 auteur M^r de la Barre.

Quoique

Les temps sont bien changés. On adoreroit aujourdui une bulle qui dispenserait du Carème et L'on brûlerait celle qui deffendrait de manger du Beurre et du fromage. J'ai crû que je ne ferais pas mal de vous donner des preuves authentiques d'un fait oublié sans doutte, mais qui est digne d'être relevés par bien des raisons.

J'ai lû avec plaisir les chevaux et les ânes, pulchré et bellé, cepandant au roiaume de Maduré le gros Battros eût bien fait de donner la préférence à un âne il aurait fait sa cour à sa caste royale. C'est à peu près co͞e ici. Frère Martin soi disant jésuitte dans sa lettre au père Lavillette rapportée au tom. 1^er des lett. édiffia. témoigne beaucoup d'ardeur pour la mission de Madurée. Il croioit sans doutte que les parents des ânes étoient faciles à persuader car dans ce roiaume toutte la famille régnante prétend descendre d'un âne.

Heureuse famille si elle a les propriétés essentielles de son autheur. Hormis les oreilles.

La balance égale est à mon goût, la plus ingénieuse satyre qui ait été faitte depuis Lucien. Envoyez moi de temps en temps des aliments pareils pour restaurer mon Esprit qui en a besoin.

La pauvre société en a dans les ailes. Les sçavants Bénédictins en rient sous leur froc. Ils comptent sur la restitution de maints riches prieurés mais ne se trompent ils pas? Les boüillons de vipêres ne sont pas hors d'usage, j'augure que L'on conservera L'espèce en faveur du remède.

Mde de Klinglin exige que je vous fasse mille Compliments de sa part ainsi qu'à mde Denys. Elle vient pandant ce Carême de marier sa fille au Comte de Falletans, franc comtois: la Bonne maman veut que sa fille ressemble à Pauline, qu'elle soit vertueuse et qu'elle n'aime pas du tout son mari.

Aimez moi toujours un peu. Je suis digne de cette reconnoissance par la passion que j'ai et que je conserverai toutte ma vie pour votre personne et pour vos écrits. Je n'ai pas le 18 tome de L'édition de Crammer. Je vous présenterai un placet pour L'avoir.

Vous ai je dit que votre Libraire de Colmar avait fait une banqueroutte de cent mille écus? le bon billet que vous aviez. Vale.

Mad^e Dupont me charge de vous dire qu'elle suivra votre Conseil. Elle ne fera plus d'Enfants. C'est être sage mais un peu trop tard. Elle et moi nous saluons mde Denys.