1767-01-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, landgrave of Hesse-Cassel.

Monseigneur,

Comme je sais que vous aimez passionnément les hypocrites, je prends la liberté de vous envoyer pour vos étrennes un petit éloge de l'hypocrisie, adressé à un digne prédicant de Geneve.
Si cela peut amuser votre altesse sérénissime, l'auteur, quel qu'il soit, sera trop heureux.

Votre altesse sérénissime est informée sans doute de la guerre que les troupes invincibles de sa majesté très chrétienne font à l'auguste république de Geneve. Le quartier général est à ma porte. Il y a déjà eu beaucoup de beurre & de fromage d'enlevés, beaucoup d'œufs cassés, beaucoup de vin bu, & point de sang répandu. La communication étant interdite entre les deux empires, je me trouve bloqué dans ce petit château que votre altesse sérénissime a honoré de sa présence. Cette guerre ressemble assez à la Secchia rapita, & si j'étais plus jeune je la chanterais assurément en vers burlesques. Les prédicants, les catins & surtout le vénérable Covelle, y joueraient un beau rôle. Il est vrai que les génevois ne se connaissent pas en vers, mais cela pourrait réjouir les princes qui s'y connaissent. La seule chose que j'ambitionne à présent, monseigneur, ce serait de venir au printemps vous renouveler mes sincères hommages.

J'ai l'honneur, &c.

Voltaire