1767-02-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Joseph Panckoucke.

J'ay reçu de vous, Monsieur, une lettre charmante, et j'ay lu avec beaucoup de plaisir votre traduction de Lucrece et votre mémoire sur l'impossibilité de la quadrature du cercle.
Je vois que vous étiez fait pour être l'ami de mr de Buffon, et non pas de Catherin Freron. Vous nous rappelez ces beaux jours où les Etienne honoraient la typographie par la science.

Je doute fort que Mr de la Harpe, que je crois très supérieur au Tassoni, veuille s'abaisser à traduire le Tassoni. La Secchia rapita est un très plat ouvrage, sans invention, sans imagination, sans variété, sans esprit et sans grâces. Il n'a eu cours en Italie que parceque l'auteur y nomme un grand nombre de familles auxquelles on s'intéressait. Si on voulait faire un poème burlesque, il faudrait choisir pour sujet les querelles de Geneve, et surtout être plus plaisant que Tassoni qui ne l'est point du tout en cherchant toujours à l'être.

Je vous suis très obligé Monsieur de la bonté que vous avez de m'envoyer le livre que j'estime le plus. Je vous supplie de vouloir bien me mander dans quel temps il doit arriver à Lyon afin de prendre des mesures pour le faire venir à Ferney. Toute communication est interrompue entre Lyon et Geneve et entre Geneve et le pays de Gex. J'espère que malgré ces obstacles je ne serai pas privé du beau présent que vous voulez bien me faire. J'ay reçu les volumes de mr de Buffon et je vous en remercie. Tout ce qui me viendra de vous me sera précieux excepté les feuilles de l'année littéraire auxquelles je me flatte que vous avez renoncé. Un homme de lettres comme vous, qui imprime mr de Buffon, n'est pas fait pour imprimer des sottises du Pont-Neuf.

Au reste, Monsieur, je voudrais vous pouvoir prouver l'estime que vous m'avez inspirée quand j'ai eu l'honneur de vous voir à Ferney. Tous les gens qui pensent doivent ambitionner votre amitié, et c'est avec ces sentiments que j'ay l'honneur d'être, monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire