1755-04-25, de Marie Louise Denis à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Vos Vers sont charmens Monsieur, si l'amitié inspiroit aussi bien, je pourois me flater d'en faire d'aussi jolis que les vôtres.
Je ne vous ai point oublié mais je n'ai pas eu le temps d'écrire quatre mots depuis six semaines que je suis ici.

Mon Oncle a des ouvriers de toute espèce et son impassience le porte à se désoller de ce que tout n'est pas fini dans la même journée. Nous sommes à la porte d'une ville que l'on ferme à la chute du jour. Dans le courant de la journée nous sommes continuelement occupés à recevoir des visites et à donner des Ordres, le soir je soupe avec Mon Oncle et je lui tiens compagnie. Nous ne pouvons avoir personne le soir par ce que nous n'avons pas un lit à donner, ensorte qu'il faut prendre passience encor trois mois et nous serons hor de tous ses embaras. Quand nous pourons donner deux ou trois lits nous déclarerons que nous ne voions personne l'aprèsmidi. On viendra deux ou trois personnes souper avec nous et notre journée sera libre.

Vous me dites en jolis vers que je réponds à tout le monde. Je vous jure qu'il n'en est rien et que tous mes anciens amis se plaignent de moi. Assurément vous n'êtes pas celui à qui je songe le moins mais l'envie que j'ai de vous dire beaucoup de chose fait que je crois n'en jamais pouvoir trouver le temps.

Je suis désollée de ce spectacle que Servandoni a donné d'Alceste, cela y fera songer. Ma pièce est faite en prose de façon que je n'ai plus rien à y changer, mais je n'ai encor que le premier acte de vercifié et j'ai actuelement tant d'occupation que je ne pourai peut être y travailler de 4 ou sinq mois d'ici. Mon Oncle est bien occupé de ses ouvriers, il apprand à connoitre le plaisir de la propriété, c'est un goût tout neuf pour lui, ainci je me flate qu'il ne s'épuisera pas si tos.

Vous allez donc à Lonet incessament. Je voudrois bien que les Delices bordassent la Seine comme ils bordent le lac, nous voisinerions et vous veriez que je vous suis attachée pour ma vie. Peut être viendrez vous nous voir un jour. J'ose encor m'en flater, j'aurais un plaisir extrême à causer avec Mon ancien et véritable ami, mais pour cette année nous n'avons voulu de personne. Ma soeur contait passer l'été avec nous, nous lui avons mendé de n'en rien faire, car nous n'avions point de chambre à lui donner, et nous ne pouvions la recevoir qu'au bruit des martos. Elle a remis son voiage à l'année prochaine.

Adieu Monsieur, souvenez vous quelquefois de moi. Comptez y toujours et soiez sûr que personne ne vous est plus sincèrement et plus inviolablement attachée que moi.

Denis