1762-03-04, de Marie Louise Denis à Henri Louis Lekain.

Nous recevons Monsieur votre lettre du 25 qui nous comble de joie.
Vous êtes adorable, et je reconnais bien là et votre Coeur et votre amitié.

J'écris à mr Tronchain banquier à Lion. Tout le monde vous dira sa demeure. Je le prie de vous donner tous les enseignemens possibles pour faire votre voiage et pour vous fournir argeant et tout ce qui peut vous être nécessaire.

Je suis désollée de ne pas savoir le temps que vous pouvez nous donner, il ne sera jamais aussi long que je le désire. Je compte pourtant que vous passerez au moins toutte la semaine de Casimodo avec nous, sans cela il nous serait impossible de jouer. Il ne serait pas possible de jouer la semene seinte et avant que vous soiez arrivé et que vous aiez donné quel que représentation à Lion (car j'imagine qu'on ne vous laissera pas tranquile sur cela) vous ne pouvez arriver chez nous que la semaine sainte. Nous prenderions ce st temps pour répéter et nous jouerions la semaine de pasque. Si vous pouvez Monsieur nous donner cette semaine comme je l'espère je vous prierais en grâce d'amener avec vous mlle Soulée. Je sçai que c'est une fille aimable et une très bonne actrice. Il y a aussi un Mr Grenier à Lion qui joue la comédie et que je vous prierais de mettre du voiage. Vous pourez prendre un Carosse à quatre que mr Tronchain vous fournira et qui vous ménerait. Voici le fait. Il est impossible à aucun genevois de jouer la comédie dans les trois semaines de pasque, il serait perdu dans la république, il n'y faut pas penser. J'ai deux Fransais ici qui sont mes amis et qui joueront sans dificulté. Vous c'est trois, Mr Grenier que vous améneriez c'est quatre. Mon Oncle c'est sinq, et j'ai encor un autre homme dans le besoin. Si Mlle Soulet veut être du voiage j'espère qu'elle me fera l'honneur de jouer les Confidantes avec moi et d'accepter le rôle d'Enide que vous connoissez dans Fanim. Le rôle est très intéressant et n'est pas fort long. Je vous prierais de jouer celui de Tamir. Mon oncle joue le père, nous donnerions le rôle d'Abbacide à Mr Grenier et l'autre à un des messieurs qui sont chez nous.

Nous pouvons jouer facilement Gengis, Tencrede, Zaire et Fanime. Vous auriez la bonté de prendre dans ces pièces tous vos rôles c'est à dire, Gengis, Orosmane, Tencrede et Tamire. Voilà de beaux progets Monsieur. Pour qu'ils soient exécutez il faut que vous puissiez passer au moins la semaine de pasque avec nous. Si nous n'avons pas le temps de jouer quatre tragédies nous en jouerons moins, mais si vous ne pouvez pas nous donner la semaine de pasque tous mes progets seront inutils. Je me bornerai au plaisir de vous voir qui sera très grand et nous déclamerons toute la journée.

Amenez donc mlle Soulet et Mr Grenier en cas que vous puissiez nous donner la semaine de pasque mais sans cela vous voiez qu'ils nous seroient inutils, car il faut le temps de préparer des pièces et je craindrais de fatiguer Mlle Soulet en lui fesant faire un voiage pénible. De quel que façon que cela s'arrenge Monsieur je me fais une grande joie de vous voir. Je suis pénétrée de reconnoissence de ce que vous faites pour nous. Je m'intéresse beaucoup à notre peti Artos. S'il était à Lion il faudrait l'amener avec vous. Mon Oncle et moi l'aimons toujours et nous vouderions trouver occasion de lui rendre service.

J'imagine que lors que je vous aurai entandu et que vous m'aurez donné quel que leçons, j'aurai encor bien plus de goût pour la Comédie. Nous avons ici mlle Corneille qui meurt d'envie de vous voir. Elle jouera joliment la Comédie, je la fais commencer par les Confidentes, elle apprand celle de Zaire mais elle ne poura jouer que celle là, ce sont les premiers vers qu'elle ait jamais dit.

Adieu Monsieur, j'écris à Mlle Soulet qu'en cas qu'elle et vous puissiez nous donner la semaine de pasque je la prie de venir. Mon Oncle sera fort aise de la voir, vous le ferez mourir de plaisir en vous voiant jouer. Nous vous désirons et nous vous aimerons à jamais.

Je ne vous parle point de Mahomet par ce que nous ne serions pas assez d'acteur, les genevois ne pouvant jouer.

Si mlle Soulet vient engagez la à apporter un habit tragique, cela sera plus comode que d'en mettre qui ne seroient pas faits à sa taille.