des Delices ce 24 aoust [1755]

Vous verez Monsieur par la lettre que j'écris à M^r de Malzerbe que je ne pouvois pas prévoir l'avanture qui arrive aux Campagnes de Louis 15.
Je me flate toujours que M^r Dargenson et M^r de Malzerbe ne soufriront pas un pareil brigandage. J'ai crus Chymene un insencé, mais nom pas un fripon à pendre. J'ai mis M^r Dargenson et le présidand Henaud parfaitement au fait de cette affaire. Vous voiez par ma lettre à M^r de Malzerbe que je me soumets à faire tout ce qu'on voudra pour anéantir cette infâme édition.

Je vous prie de faire agir M^r de Colini dans cette affaire et de l'envoier partout où vous croirez qu'il sera util. C'est un garçon aimable, serviable et qui nous est attaché.

Mon Oncle ne sai encor rien de tout ceci, il a eû tant d'inquiétude depuis quel que temps de sa pucelle que je n'ai pas voulu augmenter ses tourmens. Je lui dirai lors que tout sera fini, car j'espère qu'on me rendra justice. J'ose me flater aussi que vous voudrez bien voir encor M^r de Malzerbe; la copie de la lettre que je lui écris vous instruira du fait. Colini vous la domera. S'il résistait à suprimer cette édition, on pouroit lui proposer de faire un titre qui pût instruire le public comme par exemple:

Brouillons mis au rebut par M^r de Voltaire, trouvez dans les Ordures de son Cabinet, volez par M^r le Marquis de Ximenes qui les a vendus 25 louis au libraire pour faire resource.

Du moins le public ne seroit pas trompé. Pardon de tous les tourmens que nous vous donnons Monsieur, mais votre amitié est à l'épreuve de tout, et j'en connais tout le prix. Nous attendons des nouvelles de Gengis avec une impassience extrême.

M^r de Richelieu voulait apsolument que Grandval fit Gengis, et le Kain Zamti. Mon Oncle approuvoit cette idée, nom pas qu'il crût que Grandval jouerait mieux que le Kain, il aurait eu grand tort. Il y a assurément une grande différence de l'un à l'autre, mais mon Oncle aime passionément le rôle de Zamti, il est persuadé que de las dépand le succès de la pièce, et par cette raison il aurait voulu que M^r le Kain l'eût fait. Je crois cependand que si Sarasin a assez de force pour aller jusqu'au bout, il le jouera bien, et que la pièce fera grand plaisir. Je voudrais bien savoir si la scène du poignard a fait effet, elle me paroit bien belle.

Que vous êtes heureux Monsieur de jouir du spectacle, c'est un grand vide pour les gens qu'il l'aiment d'en être privé.

Vous aviez demendé à Mon Oncle quatre vers d'explication au commencement du 5^ème acte qui me paroissoient bien nécessaire. Je me suis mis à ces genoux dix fois pour l'engager à les faire, mais il étoit si triste et si inquiet de sa P., que je n'ai pu réussir. Il se calme actuelement et je le trouve mieux, il Commence à désirer des nouvelles de l'orphelin, c'est une bonne marque. Nous en attendons demain des nouvelles. Donnez nous des vôtres et de celles de M^me Dargental, elles nous sont bien chères et notre plus grande peine est d'être loin de vous deux à qui nous sommes inviolablement attachez pour la vie.