1768-05-05, de Pierre Michel Hennin à Marie Louise Denis.

Made,

J'ai commencé par vous laisser recevoir vos amis, faire vos visites, voir Paris, et je me suis proposé de n'avoir l'honneur de vous écrire que quand vous auriez le tems de lire des riens.
Peut être il [y] a t'il déjà plusieurs mois que vous vous êtes remise au courant et j'aurois mieux fait de commencer plustôt à vous entretenir de nos montagnes et de leurs habitans. J'imagine cependant Madame que ce n'est pas mal prendre son tems d'entamer ma correspondance quand celle des autres se ralentit, et dumoins mes Lettres ne seront elles pas des répétitions.

Il m'eût été facile made de vous envoyer des volumes sur les premiers tems après votre départ. Vous aurez sçu quelque chose des conférences que j'ai eûe alors avec M. votre oncle relativement à Ferney. Dans tout ce qui s'est passé à cet égard j'ai eû pour but de l'empêcher de quitter ce Pays cy et de faire un mauvais marché. L'idée de se retirer à Tournay n'étoit pas praticable. Il y seroit mort de froid, et auroit dépensé encore beaucoup d'argent dans le fond du Cher Président. Vous sçavez sans doute qu'il y a eû une correspondance fort vive de la part du cher oncle et fort modérée de la part du Président sur le prix excessif du marché de Tournay, et en particulier de la forêt portée à 100 arpens qui se trouvent réduits à 37. La Réponse du Prés. est une pièce à garder et qui peut un jour vous sauver de l'embarras.

J'ai peu vû M. de V. depuis plusieurs mois par ce que mon jardin m'a pris tout le temps que j'avois de libre. M'y voici enfin établi et assez bien. La proximité de Ferney m'avoit porté de ce côté, c'étoit dans le tems où je me flattois de n'y être jamais importun. Aujourd'hui j'use sobrement de la permission que j'ai d'aller dérober quelques moments à la solitude du Patron.

M. Dupuits vous tient sans doute instruite Made de tout ce qui se prépare de nos côtés. L'arrivée de M. de Bourcet, Versoix prêt à être une ville, Geneve devenüe l'objet de l'indignation de notre Cour et s'en ressentant de plus en plus. Je ne vous entretiendrois pas de toutes ces choses quand j'en sçaurois les détails parce que je suis persuadé que c'est la ressource des personnes qui vous donnent des nouvelles de ce Pays cy.

Ce dont vous ne pouvez pas douter Mde c'est du désir extrême que tout le monde a de vous revoir à Ferney. On se flatte encore que vous ne lui avez pas dit adieu, et je suis du nombre de ceux qui croyent qu'un hyver long et rude joint à quelque incommodité pourra dégoûter m. de V. de son extrême solitude. Peut être serai-je plus àportée qu'un autre de lui mettre devant les yeux le besoin qu'il a de votre société, et j'ai bien des motifs pour saisir les occasions qui s'en présenteront.

J'espère obtenir la permission d'aller au mois d'octobre passer quelque tems à Paris. Je mets assurément Made au nombre des choses les plus intéressantes qui m'y appellent de pouvoir vous y faire ma cour, et causer à tête reposée avec vous d'un Pays qui vous intéresse à tant de titres. Je me flatte que vous ne douterez jamais du tendre et respectueux dévouement avec lequel j'ay l'hr.

Mes respects je vous prie à Made votre soeur et à Made Dupuits, et beaucoup d'amitiés à M. l'abb. Mignot et à m. d'Ornoy.