1773-01-18, de Pierre Michel Hennin à Voltaire [François Marie Arouet].

M.,

Quand l’air emporteroit votre château, disperseroit votre bibliotèque, ce seroit de bonne guerre.
Vous ne croyez pas en lui, ou à lui. Mais pour le feu il y a longtems que vous êtes amis et assurément vous n’êtes pas près de vous brouillér. A qui diable en veut-il?

Vous avez eu la bonté de vous informer de ma santé et j’ai toujours cru que je pourrois chaque jour vous en aller donner des nouvelles, mais mille petits maux m’en ont empêché et me retiennent encore. J’ai abattu un monticule qui s’étoit avisé de croitre sui ma tête chauve. On prétend que cela est fort dangereux, mais jusqu’ici tout va bien et il n’y avoit pas à balancer entre risquer une maladie ou être assuré de souffrir toute sa vie. C’étoit mon cas vû la place de cette excroissance qui pressoit sur un paquet de nerfs. Dans peu de jours j’en serai débarassé. A ce mal s’est joint le Rhumatisme le plus vagabond qu’on puisse éprouver. Voilà ce qui m’a cloué à Geneve. Vous sçavez comme on y est gai. Vous sçavez la différence qu’il y a entre une soirée de Ferney et une société genevoise. Je n’ai donc pas besoin d’excuses, mais je soulage mon cœur en vous disant combien ce contretems m’a fâché en me privant du plaisir de vous voir. J’aurois eû l’hr de vous écrire si je ne m’en faisois toujours [s]crupule. Tandis que les souverains, et les auteurs attendent vos Lettres pour les enchâsser dans leurs couronnes, ceux qui vous aiment comme moi doivent respecter jusqu’à vos momens de dissipation, et je me reprocherois également de vous empêcher de faire une Epître à Horace ou de jouer une partie d’échecs.

Recevez pour vous M. et pour made Denis le vœux les plus tendres et les plus sincères. Je ne sçaurois vous dire combien je languis d’avoir le plaisir de vous voir. Vous êtes presque les seules personnes dont mon incommodité m’ait privés. Mais cette privation m’a été plus sensible que je n’étois touché de tout ce qui m’est resté pour me distraire.

Vous devriez bien nous peindre un incendie d’après nature. La renommée vous représente comme un digne capucin portant des seaux avec une vigueur peu commune. La renommée dit bien d’autres choses de vous. Tudieu quel compère!

H.