De Potsdam le 16 nov: 1775
Monsieur,
J'ai été infiniment honoré du peu de lignes que vous avez daigné m'écrire, en datte du 30 8bre et qui me sont parvenues par Mr De Catt; mais en même tems j'ai été frappé de l'accident qui vient de vous arriver.
Il m'est impossible de vous exprimer, Monsieur, la vive douleur que j'en ressens. Le Roi en est aussi vivement affecté, et prend le plus grand intérêt à vôtre santé. S. M. est entrée à cet égard dans des détails fort exacts sur vôtre façon de vivre: elle soupçonne qu'un travail assidu, sans dissipation, vous est préjudiciable. Pardonnez, Monsieur, à l'inviolable attachement que j'aurai toute ma vie pour vous, mon respectable et cher bienfaiteur, si je m'ingère de vous faire part de ces conjectures: ce sont celles du Roi dont je prends la liberté de me faire l'interprète, et si je l'osais, je joindrais ma voix à la sienne pour vous supplier au nom de toute l'Europe, de vous conserver pour le bonheur et la gloire de l'univers.
Le Roi a été cruellement attaqué de la goutte qui l'a fait souffrir pendant six semaines; mais heureusement la fièvre et les douleurs ont cessé, et S. M. sera dans peu de jours parfaitement rétablie.
Je n'avais pas, comme vous le sçavez, Monsieur, l'honneur d'être connu de Mr De Catt; cependant en vôtre considération, il m'a accueilli avec toute la politesse possible, et me donne même tous les jours, par ses bons conseils, des marques d'une véritable amitié. Il passe généralement ici pour un parfaittement honnête homme. Quant à moi, quoique je n'aie que depuis peu de tems l'honneur de le connaître, je n'hésiterais pas à garantir sa réputation. Chacun ici le reconnait pour l'ennemi de toute intrigue et pour un homme qui va le droit chemin. Les frondeurs même les plus déterminés lui rendent cette justice; ainsi il jouit depuis 18 ans de la faveur du maître et de l'estime des courtisans: avantage rare que l'on n'acquert que par une probité à toute épreuve. Il a été extrêmement flatté de ce que vous avez bien voulu lui écrire, et la renommée de vos vertus philosophiques et bienfesantes s'étendant de jour en jour, il vous est, Monsieur, plus dévoué que jamais.
J'ai eu l'honneur de dîner hier chez S. A. R. le Prince de Prusse, qui a pour vous, Monsieur, les sentimens que tout homme qui use de sa raison doit avoir.
Comme je vous dois, Monsieur, le peu de considération dont je jouis, je m'empresse de vous rendre compte des bontés que l'on veut bien avoir pour moi. J'éprouve en cela un plaisir bien sensible, puisque c'est une occasion de vous présenter un nouvel hommage de ma reconnaissance.
J'espère, Monsieur, que vous voudrez bien en faveur de mon ingénuité, me pardonner la perte du tems que je vous occasionne en vous mandant des choses peut-être inutiles et ennuyeuses, mais que l'effusion du cœur me fait hazarder.
Je vous supplie, Monsieur, de me faire sçavoir l'état de vôtre santé, qui sera sans doute telle que je le désire; car j'espère que vôtre accident déjà assez fâcheux par lui-même, n'aura cependant pas eu de suites.
Je suis avec un profond respect, et le plus tendre attachement
Mon très-respectable et très-cher protecteur
Vôtre très-humble et très-obéissant serviteur
Morival