1736-11-07, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Je suis infiniment sensible à l'honneur que vous me faites de placer mon nom à la tête du bel ouvrage que vous venez de m'envoyer.
La matière qu'il renferme et la façon dont vous le tournez, m'est si avantageuse que je suis obligé d'avouer que l'on ne peut mieux confier le soin de sa renommée qu'entre vos mains. Le devoir d'un roi sage est éclairé, le code du pape et des sept cardinaux, et l'histoire de la pédante érudition du roi Jacques d'Angletaire, sont certes des traits de maître. Sans que je m'entende à l'anatomie du reste de cette ouvrage, qui est une des pièces les plus achevées que j'aie vu de ma vie, je vous en fais mille remerciements, me trouvant heureux de l'avoir occasionné.

Je souhaiterais, monsieur, de pouvoir vous témoigner ma reconnaissance par une épître en vers, qui fût digne de vous être présentée, mais comme les étoiles se cachent en la présence du soleil, dont la brillante lumière efface et ternit leur faible lueur, ainsi je sais imposer silence à ma verve novice et désavouée des muses, quand il s'agit de vous écrire. Je sais que vos ouvrages n'ont aucun prix, ils portent en eux leur récompense qui est l'immortalité. J'espère cependant que vous voudrez bien accepter, comme une marque de mon souvenir, le buste de Socrate que je vous envoie en faveur de ce qu'il fut le plus grand homme de la Grèce, et le maître qui forma Alcibiade. Faisant abstraction de ce que la calomnie le noircit, je pourrais le mettre en parallèle avec vous. Mais craignant de blesser votre modestie, si je vous disais là dessus le tiers de ce que je pense, je me contenterais de le dire à toute la terre qui me servira d'organe pour faire parvenir jusques à vous, les sentiments d'estime et d'admiration avec lesquels je suis à jamais

monsieur

votre très affectionné ami

Frederic P. R.