1773-08-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

Il faudrait que les jours eussent à Petersbourg plus de vingt-quatre heures, pour que votre majesté impériale eût seulement le temps de lire tout ce qu’on lui écrit de l’Europe et de l’Asie.
Pour la fatigue de répondre à tout cela je ne la conçois pas.

Je voulais, moi chétif, moi mourant, prendre la liberté de vous écrire touchant les fausses nouvelles qu’on nous débite sur votre guerre renouvelée avec ce Moustapha, de vous parler du mariage de monseigneur votre fils, du voyage de madame la princesse de Darmstadt, qui est après vous ce que l’Allemagne a vu naître de plus parfait. J’allais même jusqu’à vous dire que Diderot, qui n’est pas Welche, est le plus heureux des Français, puisqu’il va à votre cour. Je voulais vous parler des dernières volontés d’Helvetius, dont on dédie l’ouvrage posthume à votre majesté. Je poussais mon indiscrétion jusqu’à vous dire que je ne suis point du tout de son avis sur le fond de son livre. Il prétend que tous les esprits sont nés égaux. Rien n’est plus ridicule. Quelle différence entre certaine souveraine et ce Moustapha, qui a fait demander à mr de St Priest si l’Angleterre est une île?

Je voulais être assez hardi pour parler à fond du passage du Danube. Je voulais demander si Falconet Phidias placera la statue de Catherine seconde, la seule vraie Catherine, ou sur une des Dardanelles, ou dans l’Atmeidan de Stamboul. Mais considérant qu’elle n’a pas un moment à perdre, et craignant de l’importuner, je n’écris rien. Je me borne à lever les mains vers l’étoile du nord. Je suis de la religion des sabéens, ils adoraient une étoile.

Le vieux malade de Ferney