1751-02-13, de Freiherr Karl Ludwig von Pöllnitz à Sophia Friderika Wilhelmina von Preussen, margravine of Bayreuth.

Votre Altesse roïale me demande des nouvelles de nos beaux esprits.
Le chef de la bande est toujours exilé de la cour d'Auguste; mais peut-être mieux traité dans sa disgrâce qu'Ovide dans sa faveur. Il continue d'être logé à Berlin au château, il est nourri, voituré, déffraïé de tout, avec cela il a cinq mille écus de pension et jouit de la liberté de plaider contre Israel, et de donner matière à bien des farces. Il n'i a point de rimailleur qui n'exerce sa verve contre lui, lui même fait journellement quelque incartade. Il fut dernièrement trouver le Chancelier, auquel il dit qu'il venoit lui remettre des remarques qu'il avoit fait sur le Code de iustice que Son Excellence venoit de publier, et dans lequel il y avoit de grandes absurdités, particulièrement en ce qui regardoit les lettres de change. Le Chancelier témoigna lui savoir gré de ses remarques, lui promit d'en profiter pour l'avenir; mais le pria de trouver bon que jusqu'au jugement de son procès les choses restassent sur l'ancien pied. Le poëte qui ne s'attendoit pas à être ainsi renvoïé, sortit fort en colère…. Moi qui suis comme les mineurs, qui ne peuvent point faire de lettre de change, je n'ai point examiné l'article du Code qui en fait mention, et je me suis contenté d'y trouver ce que personne n'ignoroit avant le Code, savoir que l'autorité du père sur le fils cesse par la mort du père ou par la mort du fils. C'est pourtant ce que M. le Chancelier nous a donné comme une pensée toute nouvelle. Son fils, qui est ici dans les gardes, à qui je fis remarquer il y a quelque tems cette absence de son père, me répondit plaisament que je ne devois pas être surpris puisque son père en composant le code prenoit le lait d'ânesse. Ce jeune homme est plein d'esprit, et ne seroit pas indigne de faire sa cour à Votre Altesse roïale. La Mettrie, qui l'instruit dans les mœurs et dans la religion, prétend qu'il a de la peine à modérer le feu de son imagination et assure qu'en peu il le réduira à avoir tous les vices des François sans en avoir les vertus. Votre Altesse roïale daignera-t-elle me pardonner cette digression? Je m'écarte de mon but, je voudrois l'amuser, et je crains de l'ennuïer. Je viens au poète, quelque hué et baffué qu'il soit. On commence à connoître que le juif a tort. On assure que tout sera jugé définitivement mercredi ou jeudi prochain, et que M. de Voltaire sortira de cette affaire couronné des mains de Thémis.

M. le comte Algarotti s'est enfin résollu de revenir à Potsdam. Les premiers jours il y a eu l'air d'un flagellé, on lui a parlé et il a commencé à balbutier, il ne tardera pas à reprendre son verbe. En attendant M. de Maupertuis tient le haut du pavé avec plus de modestie qu'on attendoit d'un homme, qui a été flaté de ce que M. Torres lui a dit en pleine académie que la terre n'étoit pas assez grande pour contenir son mérite. Le marquis d'Argens file toujours auprès de son Omphale à Manton près de Monaco. Il est touiours fort regretté et fort souhaité; mais ni sollicitations ni promesses ne peuvent ébranler sa philosophie. On dit pourtant qu'il pourra revenir vers la fonte des neiges, sans doute pour prêcher le carême. La Mettrie est tel que Votre Altesse roïale l'a laissé, désirant fort de lui faire sa cour. M. Darget est toujours mélancholique, fort attaché au roi et à son devoir, et dans ses heures de récréations il parle de se pendre….