1773-02-26, de Conseil de régence de Montbéliard à Charles Eugene von Württemberg, duke of Württemberg.

Sérénissime Duc, Très-gracieux Prince et seigneur,

Au désir du gracieux Rescrit de Votre Altesse sérénissime du 20 du présent Mois concernant l’Emprunt des 80/m.lt dont nous avons déjà eu l’homeur de faire notre très humble Raport le 13 du Courant, nous renfermons sous ce pli l’Etat des frais, que cet Emprunt a occasionés avec celui de l’employ, qui en a été fait par la Recette générale.

Come Votre Altesse sérénissime nous fait conoitre par ce mème Rescrit, que nous aurions pû, d’après les assurances, qu’on Lui a donées, trouver cet Emprunt dans le Voisinage à des Conditions moins onéreuses, et qu’Elle semble par là désaprouver notre Conduite, qu’il nous soit permis de Lui représenter très respectueusement, que ce n’est qu’après avoir mis en usage tous les moyens possibles pour procurer l’Emprunt dont s’agit sans frais, que nous nous somes vû obligés de prendre le parti d’envoyer le Conseiller Jeanmaire dans les principales Villes de la Suisse, come nous avons eu l’honeur d’en informer Votre Altesse sérénissime par notre très humble Rélation du 13 Janvier dernier, qui a été suivie de son gracieux agrément par Décret du 18 du mème Mois.

En efet, Monseigneur, le cosoussigné Gouverneur a écrit et fait écrire tant à Bâle qu’à Berne par des persones de confiance et accréditées dans ces deux Villes: Le Conseiller Jeanmaire en son particulier s’est adressé aux meilleures Maisons de l’Alsace et de la Franche Comté; Mais toutes ces tentatives ont été infructueuses. D’un côté le peu de crédit de la Caisse de ce Païs et de l’autre la rareté de l’argent, particulièrement dans les Villes de la Suisse, où la disette a épuisé toutes les bourses, ont été des obstacles invincibles à la négociation de l’Emprunt ordoné.

Votre Altesse sérénissime a pû s’en convaincre par les diférens raports, que nous Lui avons fait passer sur l’état des finances de ce Païs et en particulier par celui du 13 Janvier, auquel étoit jointe la Copie d’une Lettre de M. de Voltaire.

Ce n’est donc qu’avec la plus vive douleur, que nous avons observé, qu’on a insinué à Votre Altesse Sérénissime, qu’on auroit pû épargner les frais de la mission du Conseiller Jeanmaire, que nous avons différée jusqu’à la dernière extrémité. Pour en assurer la réussite, il proposa au Conseil de prendre avec lui un Officier de ce Païs, qui a fait fortune aux Indes orientales, et qui conoit particulièrement diférens sujets originaires de Bale, qui ont aussi servi aux Indes, lesquels devoient avoir reçu des somes considérables, pour, à la faveur de sa recomandation, les engager à prèter celle qu’on recherchoit. Mais malheureusement une partie avoit déjà placé ses fonds, et d’autres ne les avoient point encore reçus.

Cette espérance ayant échoué, le Conseiller Jeanmaire se vit obligé de passer de là à Berne, muni de Lettres de recomandation, aux principaux Magistrats de cette Ville, où il aprit d’abord après son arrivée qu’un grand Prince d’Allemagne venoit d’essuïer un refus pour un Emprunt, qu’il faisoit solliciter. Ce contretems le détermina à se rendre à Genève, où il s’adressa au s. de Beaumont, l’un des Directeurs de l’Hôpital, dont M. de Voltaire avoit envoyé les propositions, que nous avons fait passer à Votre Altesse sérénissime. Mais sur la réponse de ce Directeur, que l’argent qu’il avoit ofert, étoit déjà placé, il ne lui resta d’autre ressource que de recourir à M. de Voltaire, de qui, à force d’instances redoublées, il obtint les 80/m. qu’il a empruntées au 5 pour Ct au lieu du 6 1\\2 pour Cent, qu’il demandoit par ses Lettres.

Quoique toutes ces fâcheuses Circonstances ayent dû nécessairement prolonger le Voyage du Conseiller Jeanmaire, il nous paroit, Monseigneur, qu’il n’auroit pas pû exécuter sa Comission dans un plus court délai, attendu surtout les mauvais tems et particulièrement les neiges, qui sont tombées durant son Voyage en si grande abondance, que les Routes ont été impraticables pendant quelques jours.

Il ne nous paroit pas non plus Sérénissime Duc, que les frais de ce Voyage ayent pû être moindres. On ne peut pas d’ailleurs les envisager come une Charge extraordinaire pour la Caisse, puisque le transport de cet argent n’auroit pû se faire à moins d’un et demi pour Cent de frais, que nous avons constament payé en pareil cas. Ce qui auroit formé une some d’environ 1200lt à suposer mème, ce que nous ne croyons pas, qu’on ait pû l’obtenir par Lettres, soit de M. de Voltaire ou d’autres.

Après ce détail fidêle et circonstancié, Votre Altesse sérénissime ne pourra voir qu’avec mécontentement, qu’on n’ait pas craint de surprendre sa religion par une insinuation aussi légère et destituée de tout fondement. Si un vrai zèle pour les intèrêts de Votre Altesse sérénissime eût animé les persones, qui ont osé nous inculper, Elles auroient dû se faire un devoir de nous indiquer les sources, où nous aurions pû trouver sans frais l’emprunt, que nous cherchions depuis si lontems.

Quelles qu’ayent été leurs vuës, nous ne pouvons Monseigneur que reconoitre toute l’étenduë de la grâce, que Votre Altesse sérénissime a bien voulu nous faire en nous comuniquant ces raports pour pouvoir nous justifier sur l’imputation, qu’ils renferment.

Nous osons espérer, que Vôtre Altesse sérénissime, convaincuë de notre entier dévoument au bien de son service, daignera aprouver notre Conduite à cet égard.

Nous La suplions d’étre persuadé, que nous ne négligerons rien pour parvenir à completter l’Emprunt, qu’Elle a autorisé, en cherchant par tous moïens à en rendre les Conditions les moins onéreuses, qu’il sera possible, et à ménager ses hauts intèrêts.

Nous aurons l’honeur d’en faire en son tems notre très humble raport à Votre Altesse sérénissime et de Lui adresser, suivant ses ordres, le Bilan de la Recette générale pour l’anée courante.

Nous somes.

d’Uxkull, F. A. Comte de Sponeck; F. C. Bouthenot; Goguel; Rossel; Beurnier; C. Goguel; Gropp fils