[16 January 1737]
Monsieur, Non je ne Vous ai point envoyé mon portret, une pareille manie ne m'est point veneue dans l'esprit; mon portret n'est ni asséz beau ni asséz rare pour Vous estre envoyé.
Un mésantendeux a donné lieux à cette méprise; je Vous ai envoyé Monsieur une bagattelle pour marque de mon estim͞e, un buste de Socrate en guise de pomeaux sur une Canne, et la fason dont cette Canne a été Roullée, resemblant à celle dont on Roulle les Tableaux aura donné lieux à cette méprise: çe buste de toute fason étoit plus digne de Vous estre envoyé que mon portrait, c'est l'image du plus grand philosophe de l'antiquité, d'un hom͞e qui a fait la gloire des païens et qui jusques à nos jours, est l'objet de la jalousie et de L'e[n]vie des Crétiens; Socrate fut Calomnié, et quel grand homme ne l'est pas? Son esprit amateur de la vérité revit en vous, aussi Vous seul méritéz de Conservér le buste de ce Célèbre Philosophe; j'espère monsieur que Vous voudréz bien le retirér avec quelques lettres que je Vous ai écrites et qui je crois pouront Vous estre envoyées en même tems.
Madame La Marquise du Chatelet me fait bien de l'honeur de paroitre s'intéresér pour mon soidisant portret. Elle ceroit cappable de me donnér meillieure opignion de moi que je n'en ai jamais eue et que je n'en devrois avoir. Ce seroit à moi de désirér son protret. Je vous avoue que les charmes de son esprit m'ont fait oublyer sa matière. Vous trouveréz peutêtre que c'est pencer trop Philosophiquement pour mon âge, mais Vous pouriéz Vous trompér. L’éloigniement de l'object et l'impossibillité de le posséder peuvent y avoir autens de part que la philosophie; elle ne doit pas nous rendre insensible ni empêchér d'avoir le cœur Tendre, en quel cas elle feroit plus de mal que du bien aux hommes.
Il semble en efect que quelque Démon famillier se soit abouché avec tout les gazetiers de Holande pour qu'ils écrivent unanimement que Vous m’êtes venu voir; j'en ai été informé par la voye publique, ce qui me fit d'abort douter de la vérité du fait, je me dis d'abord que Vous ne Vous serviriéz pas des gazetiérs pour annoncér Vostre Voyage, et qu'en cas que Vous me fassiéz le plaisir de venir dans ce Païs que j'en aurai des nouvelles plus intimmes.
Le publique me croit plus heureux que je ne le suis, je me tue de le Détromper, je me sens d'ailleurs fort obligé au gazettiér d'effectuér en idée ce qu'il juge très bien qui peut m'estre infiniment agréable.
Quoi que Vous n'ayéz en aucunne magnière bessoin de Vous perfectionnér par de Nouvelles études dans la cognoisance des Sciences, je crois que la conversation du fameux Mons: S'gravesand poura vous estre fort agréable. Il doit possédér la philosophie de Neuton dans la Dernière perfection; Mons: Bourhagen ne Vous cera pas d'un moindre secours pour le Consultér sur l’état de Vostre santé. Je Vous la recomande Monsieur. Outre le penchant que Vous vous sentéz naturellement pour la Conservation de votre corps, ajoutéz je Vous prie quelque Nouvelle atention à celles que Vous avéz déjà pour l'amour d'un ami qui s'intéresse vivement à tout ce qui Vous regarde. J'ause vous dire que je sai ce que vous valléz, et que je cognois la grandeur de la perte que tout le Monde feroit en Vous, les regrets que l'on doneroit à Vos sendres Vous seront innutilles, et superf[l]ux pour ceux qui les feront; je prévoix ce malheur, et je le crainds; mais je voudrois le diférér.
Vous me feréz beaucoup de plaisir monsieur, de m'envoyér vos nouvelles productions, et je les atents avec beaucoup d'impatience. Les bons arbres portent toujours du bon fruit. La Henriade, et Vos autres ouvrages Imortels me répondent de la beauté des futurs.
Je suis fort curieux de Voir la suite du Mondain que Vous vouléz bien me prometre; Le plan que vous m'en marqués est tout fondé sur la Raison et sur la Vérité. En efect la Sagesse du Créateur n'a rien créé inutillement dans ce Monde. Dieu veut que l'homme jouisse des créatures, et c'est contrevenir au but du Créateur que d'en usér autrement. Il n'y a que les abus et les exès qui rendent mauvéz ce qui est d'ailleurs bon en soi même.
Ma moralle Monsieur s'acorde très bien avec la Vostre. J'avoue que j'aime les plaisirs et tout ce qui y contribue. La brièveté de ma vie est le motif qui m'ensegnie d'en jouir; nous n'avons qu'un tems du quel il faut profitér. Le passé n'est qu'un rêve, le futur est incertain. Ce principe n'est point dangereux, il n'y a qu’à n'en point tirér de fausse conséquance. Je m'atens que vostre esai de moralle sera l'histoire de mes pensées; quoi que mon plus grand plaisir soit l’étude et la Culture des beaux arts, vous savéz monsieur mieux que personne qu'ils exigent du repos, de la tranquillité et du receuillement d'esprit,
Il y a bien de la témérité pour un écolier, ou pour mieux dire à une grenouille du sacré Vallon d'ausér croassér en pressence d'Apollon. Je le reconois, je me confesse, et Vous en demande l'absolution. L'estime que j'ai pour Vous me la doit méritér; il est bien dificille de se taire sur de certennes véritéz quand on en est bien pénétré, risque à s'exprimér bien ou mal. Je suis dans ce cas, c'est vous qui m'i metéz et qui par conséquent devéz avoir plus d'indulgence pour moi qu'aucun autre.
Je suis à jaméz avec toute la considération que vous méritez
Monsieur
Vostre très affectionné ami
Federic