à Remusberg ce 9 de Nov: 1738
Mon cher Ami,
Je Viens de resevoir une Lettre et des Vers que personne n'est capable de faire que Vous; mais si j'ai L'avantage de resevoir des Lettres et des Vers d'une beauté préférable à tout ce qui a jamais pareux, j'ai aussi L'embaras de ne savoir souvent comment y répondre.
Vous m'envoyés de L'or de Vostre Potosse et je ne Vous renvoye que du plomb. Après avoir Leux Les vers aiséz, Vifs, et aimables que Vous m'adresséz j'ai balancé plus d'une foix avans que de Vous envoyér L'Epître sur L'Humanité que Vous reseveréz avec cette Lettre, mais je me suis dit ensuite, il faut rendre nos Homages à Cirey, et il faut y chercher des Instructions, et des sages Corections. Ces Motifs à ce que j'espère Vous feront resevoir avec quelque Suport Les Mauvais Vers que je Vous envoye.
Tiriot vient de m'envoyér L'ouvrage sur Le feux de La Marquisse. Je puis dire que j'ai été étoné en Le Lisant, on ne diroit point qu'une pareille piesse peut estre produit par une feme, de plûs le stille est Malle et tout à fait convenable au Sujet. Vous êtes tout deux de Ces gens admirables et Uniques dans Votre espesse et qui augmentéz chaque jour L'admiration de ceux qui Vous connoissent. Je pense sur ce sujet des choses que Vostre seulle Modestie m'oblige de Vous cellér. Les paÿens ont fait des Dieux qui assurément restoit bien audesous de Vous deux. Vous auriéz tenu La première place dans L'Olimpe si Vous aviez vécû alors.
Rien ne Marque plus La Diférence de nos meurs de celles de ces tems reculléz que Lors qu'on compare La Magnière dont L'entiquité tretoit Les grands Homes, et celle dont les trete Nostre siècle.
La Magnanimité, La grandeur D'âme, La fermeté, passent pour Des Vertus chimériques, on Dit, oh, vous Vous piquéz de faire Le Romain, cela est Hors de saison, on est revenu de ces affectation dans le siècle D'à présent . . . . Tempis, Les Romains qui se piquoient de Vertus étoyent des grands homes, pour quoi ne point les Imitér dans ce qu'ils ont eux De louable?
La Gresse étoit si Charmée d'avoir produit Homere, que plus de Dix Villes se disputoient L'Honneur d'estre sa patrie, et L'Homere De La France, L'Home Le plus respectable de toute La Nation est exposé aux trets de L'Envie. Virgille Malgré Les Vers de quelque Rimailleurs obscurs jouissoit paisiblement de La protection de Messene et D'Auguste come Boileaux, Rassine et Corneille de Celle de Louis le grand. Vous n'avéz point ces avantages, et je crois à dire Vrai que Vostre Réputation n'i perdra rien. Le sufrage d'un sage, d'une Emilie doit estre préférable à celui du tronne pour tout homme né avec un bon jugement.
Votre Esprit N'est point Esclave, et Vostre Muse n'est point enchenée à La gloire des grands. Vous en Valléz mieux, et c'est un témoignage irévocable de Vostre sincérité, car on sait trop que cette Vertu fut de tout tems incompatible avec La basse flaterie qui règne Dans Les Cours.
L'Histoire De Louis 14 que je Viens de relire, se resent bien de Vostre séjour de Cirey, c'est un ouvrage exelent, et dont L'Univers n'a point encore d'exemple. Je Vous demende instemment de m'en procurér La Continuation, mais je Vous conseille en ami de ne point Le Livrer à L'impression. La postérité de tout ceux dont Vous dites La Vérité se Ligueroit Contre Vous. Les uns trouveroient que Vous en avéz trop dit, les autres que Vous n'avéz pas asséz exagéré Les Vertus de leurs Ancêtres; et Les prêtres, cette Race implacable, ne Vous pardoneroit point les petits traits que Vous Leurs Lancéz. J'ause même dire que cette Histoire écrite avec vérité et Dans un esprit philosophique ne doit point sortir de la sphère des philosophes. Non elle n'est point faite pour des gens qui ne savent point pensér.
Vos deux Lettres ont produites un efet bien diférent sur ceux à qui je les ai rendues. Cesarion, qui avoit La goute l'en a perdue de joye, et Jourdan qui se portoit bien pensa en prendre L'apoplexie, tant une même Cause peut produire des efets Diférents; c'est à eux à Vous Marquer tout ce que Vous Leur Inspiréz, ils s'en acquiteront ausi bien, mieux que je ne pourois Le faire.
Il ne nous Manque à Remusberg qu'un Voltaire pour estre parfaitement Heureux. Indépendement de Vostre apsense, Vostre personne est pour ainsi dire inée dans Nos Ames. Vous êtes toujours avec nous; Vostre Portrait préside Dans Ma bibliotèque, il pend audessus de L'Armoire qui Conserve Nostre Toison d'Or; il est imédiatement placé audesus de Vos ouvrages, est Visavis de L'endroit où je me tiens de fason que je l'ai toujours présent à mes yeux. J'ai pensé dire que ce portrait étoit come la Statue De Memnon qui donoit un son Harmonieux lors qu'elle étoit frapée des Raions du Soleil. Que Vostre portrait animoit de même L'Esprit de ceux qui le regardent! Pour moi il me semble toujours qu'il paroit me Dire
Souvenéz Vous toujours je vous prie de la petite Colonie de Remusberg et Souvenéz vous en pour Lui adressér de Vos lettres pastoralles. Ce sont des consolations qui Devienent nésesaires dans Vostre apsence, vous Les Devéz à Vos amis. J'espère bien que Vous me compteréz à leur Tette. On ne sauroit du moins Estre plus ardenment que je suis et que je serai toujours,
Vostre très affectioné et fidelle ami
Federic