à Remusberg ce 19 de Févr: 1738
Monsieur, Je Viens de resevoir la lettre du 22 de janvier que Vous m'avéz écrite.
J'y vois la bonté avec la quelle Vous excuséz mes fautes et La sincérité avec la quelle vous vouléz me les découvrir. Vous vouléz bien quitér pour quelque momens le Ciel de Neuton et L'aimable compagnie des muses pour décrasér un poète nouveau dans les eaux bondisentes de l'Hipocrene, Vous quitéz le peinceaux en ma faveur pour prandre la lime. Enfin vous vous donéz la pene de m'aprendre à épellér, Vous qui savéz pencér. Mais je Vous importunerai encore et je crains que vous ne me preniéz pour un de ces gens à qui on à fait quelque charité, et qui en demandent toujours davantage.
Madame du Chatelet m'a adresé des vers que j'ai admiré àcause de leur beauté, de leur noblesse et de leur tour original; j'ai été en même tems fort étoné d'y voir qu'on m'i donoit du Divin, quoi que je conoise par les Mêmes endrois qu'Alexandre que je ne suis pas de Céleste orignine, et je craind fort qu'en qualité de Dieu mon sort ne deveint semblable, à cette Canaille de Nouveaux dieux que Lucien nous dit avoir été chasé des Cieux par Jupiter, ou bien aux St. que le sr: de l'Aunoix trouva àpropos de Dénichér du paradis. Quoi qu'il en soit j'ai répondu en vers à Mad. du Chatelet et je Vous prie Monsieur de Vouloir bien donnér quelque coups de plume à cette pièce afein qu'elle soit dignie d'estre oferte à Emilie.
Je regarde cette Emilie comme une Divinité d'anciene datte à la quelle il n'est pas permi de parlér en langage humain. Il faut Lui parlér celui des Dieux, il faut lui parlér en vers. Il est bien permi à nous autres homes de bégaiér quand nous nous mêlons de parlér une lange qui nous est si étrange. Ausi puije espérér que Vos Divinitéz vouderons excusér les fautes que font les pauvres mortels quand il se mêlent de Vous parlér come vous autres.
J'atens quelque Coup de foudre de la part du Jupiter de Sirey sur certene pièce de Métaphisique, que j'ais ausé hazardér. Je fais ce que je puis pour m'élevér jusques aux Cieux Métaphisiques, je remue les bras et je crois Volér, mais quoique je puise faire je sens bien que mon esprit n'est pas de nature à pouvoir se démêlér de toute les dificultéz qui se présentes dans cette carière. Il semble que le créateur nous a doné autans de raison qu'il en faut pour nous conduire sagement dans le Monde et pour pourvoir à tout nos besoins; mais il semble ausi que cette Raison ne sufit pas pour contentér ce fond insasiable de curiosité que nous avans en nous et qui s'étent souvens trop loin. Les absurditéz et les contradictions qui se rencontrent de toute pars, donnent sens fein Naisence au pironisme et à force d'imaginér on ne parle plus qu'a son imagination. Après tout ce que je tiens pour une vérité Certene et incontestable c'est le plaisir et l'admiration que Vous me causéz. Ce n'est point une illusion des sens, ce n'est point un préjugé frivolle mais c'est une parfaite conoisance de l'home le plus aimable du monde.
Je suis avec une très parfaite estime
Monsieur
Vostre très fidellement affectioné ami.
Federic
Je m'en vais rayér toute les trompetes, coriger, changér et me pennér jusqu'asque Vos remarques soient éludées. Merope ne sort point d'entre mes mains, c'est une Vierge dont je garde l'honeur.