1737-04-07, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, Il n'y a pas jusques à Vostre manière de cachetér qui ne me soit garante des atentions obligentes que Vous avéz pour moi; Vous me parléz d'un ton extrêmement flateur; vous me combléz de louanges; vous me donnéz des titres qui n'apartienent qu'à des grands homes, et je sucombe sous le faix de vos Louanges.

Mon empirre sera bien petit monsieur s'il n'est composé que de sujets de Vostre mérite. Faut-il des Rois pour gouvernér des Philosophes? des ingniorants pour conduire des gens instruits? en un mot des homes esclaves de leurs pasions pour contenir les visses de ceux qui les supriment, non par la crainte des châtiments, non par la puérille apréhention des enfers et des démons mais par amour de La vertu?

La Raison est Vostre guide, elle est Vostre souveraine, Henri le grand Le st qui Vous protège. Une assistance étrangère Vous ceroit superflue.

Cepandent si je me voyois relativement au poste que j'ogupe en état de Vous faire resentir l'efect des sentiments que j'ai pour Vous, Vous trouveriéz en moi un st: qui ne se feroit jamais invoquér en Vain.

Je comance par vous en donnér un petit échantillon. Il me paroit que Vous souhaitéz d'avoir mon portrait. Vous le Vouléz? Je L'ai comandé sur l'heure.

Pour Vous montrér à quel point les arts sont en honneur chéz nous aprenéz monsieur qu'il n'est aucune science que nous ne tâchons d'annoblir; un de mes gentilhomes nomé Knobelsdorf (qui ne borne pas ses talents à savoir maniér le pinceaux) a tiré ce portrait; il sait qu'il travaille pour Vous, et que Vous êtes connaiseur, c'est un eguillon sufisent pour l'animér à se surpasser. Un de mes intimes amis, le Baron de Keiserling, ou Cesarion, Vous randra mon ephigie. Il cera à Cirey vers la fein du Mois prochein. Vous jugeréz en le Voyant s'il ne mérite pas l'estime de tout honnet home. Je Vous prie Monsieur de Vous confier à luy. Il est chargé de Vous presér Vivement, au sujet de la Pucelle, de La Philosophie de Neuton, de l'histoire de Louis 14, et de tout ce qu'il poura Vous extorquér.

Coment répondre à vos vers àmoins que d'estre né poète? Je ne suis pas asés aveuglée sur moi même pour m'imaginér que j'aye des Talents pour la Versification. Ecrire dans une lange étrangère, y composér des vers, et qui pis est se voir désavoué d'Apollon, c'en est trop.

Je rime pour rimér mais est ce estre poète
Que de savoir marquér le repos dans un vers
Et se sentans presé d'une ardeur indiscrète
Allér Psalmodiér sur des sujets divers?
Mais lorsque je te vois T'élevér dans les airs
Et d'un Vol assuré prendre l'esort rapide,
Je crois dans ces moment que Voltere me guide.
Mais non! Icare tombe et périt dans les Mers.

Envérité nous autres poètes nous prometons beaucoup et tenons peu. Dans le moment même que je fais amande honorable de tout les mauves vers que je Vous ai adresé, je tombe dans la même faute.

Que Berlin deviene Athene, j'en acsepte l'augure, pourveu qu'Elle soit capable d'atirér Mons: de Voltaire, Elle ne poura manquér de devenir une des Villes les plus célèbres de l'Europe.

Je me rands monsieur à Vos Raisons. Vous justifiéz Vos vers à merveille. Les Romains ont eu des Botes de foin en guise d'Etandarts. J'y consens. Vous m'écleréz, Vous m'instruiséz, Vous savéz me faire tirér profit jusque de mon ignorance.

Par quoi esque mon Régiment a pu exitér Vostre curiosité? Je Voudrois qu'il fût connu par sa Bravoure, et non par sa Beauté. Ce n'est pas par un vain appareil de Pompe et de magnificence, par un éclat extérieur qu'un Régiment doit Brillér. Les Troupes avec les qu'elles Alexandre s'asujetit la Grece et Conquit La plus grande partie de l'Assie étoit conditionées bien diféranment. Le fér fesoit leur unique parure. Ils étoit par une longe et peinible habitude endurcis aux Traveaux. Ils savoit endurér la feim, la soif et tous les meaux qu'entresne après soi l'âpreté d'une longe guerre. Une rigoureuse et Rigide Dissipline les unisoit intimement ensembles, les fesoit touts concourir à un même but, et les rendoit propres à exécutér avec promptitude et Vigueur Les Deseins Les plus Vastes de leur généraux.

Quand au premiér temps de l'Histoire Romaine je me suis vu engagé à soutenir sa vérité, et cela par un motif qui Vous surprendra; pour Vous l'expliquér je suis obligé d'entrér dans un détail que je tâcherai d'abréger autans qu'il cera posible.

Il y a quelques années qu'on trouva dans un manuscrit du Vatican l'Histoire de Romulus et de Remus, Raportée d'une magnière toute diférante qu'elle nous est connue; ce manuscrit fait foi que Remus s'échapa des pour-suites de son frère, et que pour se dérober à sa jalouse fureur, il se réfugia dans les provinces septantrionelles de la Germannie, vers les Rives de l'Elbe, qu'il y bâtit une Ville, située auprès d'un grand Lac à la qu'elle il donna son nom et qu'après sa mort il fut inhumé dans une Isle qui s'élevant du sein des eaux forme une espesse de montagnie au milieu du lac. Deux moines ont été ici il y a quatre an de la part du pape pour découvrir l'endroit que Remus à fondé celon la Description que je viens d'en faire. Ils ont jugés que ce devoit estre Remusberg, ou come qui diroit Mont Remus. Ces Bons pères ont creusér dans l'isle et de toute pars pour découvrir les cendres de Remus; soit qu'Elles n'ayent pas été conservées asséz soignieusement, ou que le temps qui détruit tout, les aye confondus avec La Terre, ce qu'il y a de sûr c'est qu'ils n'ont rien trouvé.

Une Tradition non plus avérée que celle là est, qu'il y a environ cent ans, en posant les fondemens de ce château on trouva deux pieres sur les quelles étoit gravée L'histoire du Vol des Veautours. Quoi que les figures ayant été fort efacées, on en à peu reconnaitre quelque chose. Nos gotiques ayeux Malheureusement fort igniorants et peu curieux des antiquités, ont négligé de nous conservér ces précieux monuments de l'histoire, et nous ont par conséquent Laisés dans une incertitude obscure sur la vérité d'un fait si important.

On a trouvé il n'y a pas trois mois en remuant la terre dans le jardein, Une urne et des monoyes Romaines, mais qui étoient sy vieilles que le Coin en était quasi tout efacé. Je les ai envoyées à Mons: de Lacroze. Il a jugé que leurs antiquité pouvoit estre de discsept à dischuit sciècles.

J'espère Monsieur que vous me sauréz gré de L'anecdote que je viens de Vous aprandre, et qu'en sa faveur Vous excuseréz l'Intérêts que je prands à tout ce qui peut regardér l'Histoire d'un des fondateurs de Rome dont je crois conservér la cendre.

D'ailleurs on ne m'acuse point de trop de crédullité, si je pèche ce n'est pas par superstition.

Ma foi se défiant même du vraisemblable
En évitant l'ereur cherche La vérité.
Le grand, le Merveilleux aprochent de la fable,
Le vrai se reconnoit à la simplicité.

L'amour de la vérité et l'horeur de l'injustisse, m'ont faits embrasér le parti de Mons: Volf.

La Vérité nue a peu de pouvoir sur l'esprit de la plus part des homes, pour se montrér il faut qu'Elle soit revêtue du rand, de la dignité et de la protection des grands. L'Ignorance, le fanatisme, La superstition, un Zelle aveuglé mêlé de jalousie ont poursuivies mons: Volf. Ce sont eux qui lui ont imputé des crimes, jusqu'à ce qu'enfein le Monde comance d'apersevoir l'orore de son innosence. Je ne veu point m'arogér une gloire qui ne m'est point due ni tirér Vanité d'un mérite étrangér. Je peu vous assurér que je n'ai point Traduit la Métaphisique de Volf. C'est un de mes amis à qui l'honeur en est dû. Un enchainement d'événements L'a conduit en Rusie où il est depuis quelque mois, quoi qu'il méritait un meilleur sort. Je n'ai d'autre part à cet ouvrage, que de l'avoir ocasioné; et celui de la corection.

Le copiste tient Le Reste de la Traduction entre ses mains. Je l'atans tout les jours. Vous l'aurai dans peu.

Le Souvenir D'Emilie m'est bien flateur. Je Vous prie de L'assurér que j'ai des sentiments très distinguéz pour Elle,

car L'Europe la comte au rang des plus grans homes.

Que pouraije refusér, à Neuton, Venus, à la plus haute science Revêtue des agrémens de la beauté, des charmes de la jeunesse, des grâces et des apas? La Marquise du Chatelet veut mon portrait, (ce ceroit à moi de lui demandér le sien), je souscrit. Chaque trait de peinceaux feront foi de l'admiration que j'ai pour Elle.

J'envoye cette lettre par le cannal du sr: Dubrueil Tronchin à l'adresse que Vous m'avéz indiquée. Je crois qu'il ceroit bon de prandre des mesures avec le maitre de poste de Treves pour réglér nostre petite corespondance. J'atandrai que vous ayéz pris des arangements avec lui sur ce sujet avans que de me servir de cette voye.

Quand es que le plus grand homme de la France n'aura t'il plus besoin de tans de précautions? Esque Vos compatriotes seront les seuls à Vous enviér la gloire qui Vous est due? Sortez de cette ingrate pattrie et venéz dans un païs où Vous seréz adoréz, que Vos talents trouvent un jour dans cette nouvelle Athene leurs Rémunérateur.

Amène dans ces lieux la foulle des beaux arts,
Fais nous part du Trésort de Ta philosophie.
Des peuples de savants suivront tes étandarts.
Eclere les du feu de ton puisant génie.
Les mirtes, les loryéz soigniéz dans ce canton,
Atandent que ceuillis par les mains d'Emilie
Ils servent quelque jour à te ceindre le fron.
J'en Vois crêvér Rouseau de fureur et d'envie.

Vos lettres me font un plaisir infini mais je Vous avoue que je leur préférerois de beaucoup la satisfaction de m'entretenir avec vous et de Vous assurér de vive voye de la parfaite estime avec la qu'elle je suis à jamais,

Monsieur

Vostre très affectionné ami

Federic

Je viens de resevoir L'Enfan prodigue. Il est plein de beaux endroits; il n'y maque que la dernière main.