1737-08-16, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].
Quoi sanscesse ajoutant Merveilles sur Merveilles
Voltaire à l'univers tu Consacre tes veilles!
Non content de charmér par tes Divins écrits
Tu fais plus, tu prétens éclerér les esprits.
Tantôt du grand Neuton débrouillant le sistème
Tu Découvre à nos yeux sa profondeur extrême,
Tantôt de Melpomene arborant les Drapeaux
Ta Verve Nous prépare à des Charmes nouveaux.
Tu passe de Tallie au pinceaux de l'Histoire,
Du Grand Charle et du Csar éternisant la gloire
Tu marquera dans peu de ta savante main
Leur Visses, leur Vertus et quel fut leur destin,
De ce Héros Vaincoeur la brillante folie,
De ce législateur les Traveaux en Rusie,
Et dans ce parallèle, efroi des Conquérans,
Tu montreras au Roys le seul devoir des grands.
Pour moi de ces Climats habitan sédantaire,
Qui sans prévantion rand justice à Voltaire,
J'admire en tes écrits de Diverse Nature
Tout les dons dont le Ciel te Combla sans mesure.
Que si la Calomnie avec ses noir serpents
Veut Flétrir sur ton fron tes loryers Verdoyents,
Que Du fond de Bruxelle un Bessus en furie
Sait lancér son venein au sein de ta patrie,
Que mon simple sufrage, enfen de l'équité,
Te tiene dumoins lieu de la postérité.

D'où prenez Vous monsieur tout le tems pour Travaillér? Ou Vos momens Vallent le triple de ceux des autres, ou Vostre génie heureux et fégond surpace celui de l'ordinaire des grands homes; àpeine avéz vous achevéz d'éclaircir la philosophie de Neuton, que Vous Travailléz à enrichir le Téâtre Français d'une Tragédie Nouvelle, et cette pièce qui celon les aparences n'a pas quité encore le Chantiér, est déjà suivie d'un nouvel ouvrage que vous projetéz.

Vous Vouléz faire au Csar l'honeur d'écrire son Histoire en Philosophe. Non content d'avoir surpasé tout les auteurs qui Vous ont présédé par l'élégance, la beauté et l'utillité de Vos ouvrages, vous Vouléz encore les surpassér par le nombre. Empressé à servir le genre humain Vous Consacréz Vostre vis entière au bien public.

La providence vous à réservé pour aprendre aux homes à préférer la lire d'Amphion qui élevoit les murs de Tebes, à ces Instruments beliqueux qui faisoient Tombér ceux de Jerico.

Le Témoignage de quelques Véritéz découvertes et de quelques erreurs détruites est à mon avis le plus beau Trophée que la postérité puisse érigér à la gloire d'un grand homme. Que n'avéz Vous pas à prétendre Vous qui êtes ausi fidelle au Culte de la Vérité, que zellé destructeur des préjugéz et de la superstition?

Vous vous atendéz sans doute à reservoir par cet ordinaire tout les matériaux nécessaires pour commencér l'ouvrage au quel Vous vous êtes proposés de travaillér. Quelle sera Vostre surprise quand vous ne recevréz qu'une métaphisique et des Vers! C'est cependant tout ce que j'ai peu vous envoyér par cet ordinaire, une métaphisique difuse et un copiste pareseux ne font guère de chemein ensemble.

J'ai lu avec beaucoup d'atantion Vostre Raisonement géométrique et pressant sur les infinimens petits. Je crois que nous ne diférons que dans la façon de nous exprimér; je Vous avoue tout ingénument que je n'ai aucune idée de l'infini; je Vous avoue encore que je ne connois que deux sortes de nombres, des nombres pairs ou impairs; or l'infini étant un nombre, il n'est ni pair ni impair, qu'est il donc?

Si je Vous ai bien compris Vostre sentiments (qui est ausi le mien) est, que la Matière relativement aux hommes est divisible infiniment, parcequ'ils auront beau décomposer la Matière ils n'ariveront jamais aux unitéz qui la composent, mais que réellement et relativement à l'essence des chosses la Matyère doit nésesairement estre composée d'un amas d'unitéz qui en sont les soeuls principes et que l'auteur de la nature a jujé àpropos de nous cachér. Or qui dit Matyère sans l'idée de ces unitéz jointes et arangées ensemble, dit un mot qui n'a aucun sens. La modification de ces unitéz détermine ensuite la Diférence des estres.

Monsieur Volf est peutêtre le soeul philosophe qui ait eu la hardiesse de faire la Définition de l'estre simple. Nous n'avons de connoissance que des choses qui tombent sous nos sens, ou qu'on peut expliquér par des signies, mais nous ne pouvons avoir de connoissance intuitive des unitéz parce que jamais nous n'aurons d'instruments asséz feins pour pouvoir séparér la Matyère jusqu'à ce point. La dificulté est àprésent de savoir coment on peut expliquér une chosse qui n'a jamais frapé nos sens? Il a falu nécesairement donnér de nouvelles définitions, et des définitions diférantes de tout ce qui a raport avec la matyère.

Monsieur Volf pour arivér à cette deffinition Vous y prépare par celle qu'il fait de l'espace et de l'étandue. Si je ne me trompe il s'en explique ainci. L'espace, dit-il, est le vuide qui est entre les parties, de fason que tout estre qui a des ports ocupent toujours un espace entre eux. Or tout les estres composé doivent avoir des pores, les uns plus suptilles que les autres selon leur diférente composition, donc tout les estres composéz contienent une espace. Mais une unité, n'ayant poins de partie et par conséquent poins d'interstice, ou de pores ne peut par conséquent point tenir d'espace. Volf nomme l'étandue la continuité des estres. Par exemple une lignie n'est formée que par l'arangement d'unitéz qui se touchent les unes les autres et qui peuvent se suivre en lignie courbe, ou droite. Ainci une ligne à de l'étandue, mais un estre un qui n'est pas continué ne peut ocupér d'étandue. Je le répète encore l'étandue n'étant celon Volf que la continuité des estres un petit moment d'atantion vous fera trouver ces définitions si vrais que vous ne pouréz leurs refusér Vostre aprobation. Je ne vous demande qu'un coup d'œil, il Vous sufit monsieur pour Vous élever non seulement à l'estre simple mais au plus haut degré de connoisance auquel l'esprit humain peut parvenir.

Je viens de voir un homme à Berlin avec lequel je me suis bien entretenu de vous, c'est Nostre Ministre Bork qui est de retour d'Angletere. Il m'a fort alarmé sur l'état de Vostre santé; il ne finit point quand il parle des plaisirs que Vostre Conversation lui a causée. L'esprit, dit-il, Triomphe des infirmitéz du Corps.

Vous seréz servi monsieur en Philosophe et par des philosophes dans la comition dont Vous m'avéz jugé capable. J'ai tout ausitôt écrit à mon ami en Rusie, qui répondra avec exactitude et avec vérité au points sur les quels vous souhaitéz des éclercisements. Non content de cette Démarche, je viens de déterér un secrétere de la Cour qui ne fait que revenir de Moscovie après un séjour de 18 ans consécutifs. C'est un homme de très bon sens, un home qui a de l'inteligence et qui est au fait de leur gouvernement. Il est de plus véridique. C'est par cette raison que je l'ai chargé de me répondre sur les mêmes points. Je crains qu'en qualité d'Aleman il n'abuse du privilége du difus et qu'au lieux d'un mémoire il ne composse un Volume. Dès que je reseverai quelque chose que ce soit sur cette matyère je le ferai partir avec Diligence.

Je vous demande pour salaire de mes peinnes un exemplaire de la nouvelle édition de vos oeuvres. Je m'intéresse trop à vostre gloire pour n'estre pas des premiers instruit de vos nouveaux succès.

Selon la description que vous me fetes de la vie de Cireÿ je crois ne voir que l'histoire de ma retrete. Remusberg est un petit Cireÿ monsieur à cela près qu'il n'y a ni de Voltaire ni de Marquise Du Châtelet chez nous.

Voici encore une petite ode asséz mal tournée et asséz insipide, c'est l'apologie des bontéz de Dieu. C'est le fruit de mon loisir que je n'ai pu m'empêchér de vous envoyér. Si ce n'est abusér de ces moments précieux dont Vous savéz faire un usage si merveilleux, pouroye Vous prier de la corigér?

J'ai le malheur D'aimér les vers et d'en faire de très mauvais. Ce qui devroit m'en dégoûtér et qui rebuteroit toute personne raisonable, est justement l'eguillon qui m'anime le plus. Je me dis, petit Malheureux tu n'as pu réusir jusqu'à présent, Courage, reprenons le Rabot et la lime, et derechefmetons nous à l'ouvrage; par cette inflexibilité je crois de me rendre Apollon plus favorable.

Une aimable personne m'inspira dans la fleur de mes jeunes ans deux passions à la fois. Vous jugéz bien que l'une fut l'amour, l'autre fut la poésie. Ce petit Miracle de la Nature avec toutes les grâces possibles avoit du goust et de la Délicatesse, elle voulut me les comuniquér. Je réusis asséz en amour mais mal en poésie. Depuis ce tems j'ai été amoureux assez souvent et toujours poette. Si Vous savéz quelque secret pour guérir les hommes de cette Manie Vous feréz oeuvre vraiment Crétiene de me le comuniquer. Si non je vous condamne monsieur à m'enseigniér les règles de cet art enchanteur que Vous avéz embelli et qui à son tour vous fais tant d'honeur. Nous autres princes nous avons touts l'âme intéressée et nous ne fesons jamais de connoissances que nous n'ayons quelques vues particullières en même tems et qui regarde Directement nostre profit directement.

Que Cesarion est heureux! il doit avoir pacé des moments Délicieux à Cireÿ. Quels plaisirs surpassent en effect ceux de l'esprit? J'ai fait des eforts d'imagination prodigieux pour l'acompagniér, mais ni mon imagination n'est asséz vive ni mon esprit asséz délÿé pour l'avoir pu suivre. Contentéz vous monsieur de mes eforts tandis qu'il me sufira d'avoir conversé avec Vous par le Ministère de mon ami.

Je suis ravi des bontéz que la marquise du Chatelet témoignie à Cesarion. Ce seroit un titre pour estimér encore Davantage Madame la marquisse si c'étoit une chose posible.

La sagesse de Salomon eût été bien recompencée si la reine de Saba eût été semblable à celle de Cireÿ. Pour moi qui n'ai l'honeur d'être ni sage ni Sallomon je me trouve toujours fort honnoré de l'amityé d'une personne aussi acomplie que Mad: la Marquisse; j'ai lieu de croire que sa vue me feroit naitre des Idées un peu diférantes de ce que le Vulgaire nomme sagesse. Je me flate que comme Vous avéz la satisfaction de conoitre cette divinité de plus près, que Vous sentiréz quelque indulgence pour mes foiblesse, si foiblesse y à d'admirér et de sentir du tandre pour les chefs d'oeuvres de la nature.

D'un Raisonement de philosophie je me vois insensiblement engagé dans un avorton de déclaration d'amour, et Tandis que ma métaphisique garde le stille de Volf ma moralle pouroit bien resemblér un peu à celle que Rameau réchoffe des sons de sa Musique.

Quant à l'amityé je vous prie de me croire Constant, me déterminant difficillement à donnér mon coeur mais fesant des chois à ne me repentir jamais.

Je suis avec l'estime que Vous méritéz plus que qui que ce soit

Monsieur

Vostre très affectionné ami

Federic