à Remusberg ce 19 Nov: 1737
Monsieur,
Je n'ai pas été le derniér à m'aperscevoir des Langeurs de nostre correspondance.
Il y'avoit environ deux mois que je n'avéz pas reseu de Vos nouvelles, quand je fis partir il y a huit jours un grand paquet pour Cirey. L'amityé que j'ai pour vous m'allarmoit furieusement, je m'imaginois ou que des indispositions vous empêchoient de me répondre, ou j'apréhendois quelquefois même que La Dellicatesse de Vostre tempérament n'ut ssedé à La Violance et à L'acharnement de La maladie. Enfein j’étois dans la situation d'un avare qui croit ses trésors en un danger évident. Votre lettre vient sur ces entrefaites, elle dissipe nonseulement mes craintes, mais elle me fait encore sentir tout le plaisir qu'un comerce comme le vôtre peut produire.
Estre en corespondance c'est estre en trafique de pencées, mais j'ai cet avantage de nostre trafique, que Vous me donnéz de retour de l'esprit et des Véritéz. Qui pouroit estre aséz brute ou asséz peu intéressé pour ne pas chérir un pareil comerce? Envérité Monsieur quand on vous connoit une fois on ne sauroit plus se passer de Vous, et Vostre corespondance m'est devenue comme une nécessité indispensable de La vie; vos idées servent de nouriture à mon esprit.
Vous trouveréz dans le paquet que je Viens de dépêcher l'Histoire du Csar Piere premiér; celui qui L'a écrite a ignioré apsolument à quel usage je la destinois; il c'est imaginé qu'il n’écrivoit que pour ma curiossité, et delà il s'est cru permis de parlér avec toute la liberté possible du gouvernement et de l’état de la Rusie. Vous trouveréz dans cette Histoire des véritéz qui dans Le Sciècle où nous sommes ne se comportent guère avec L'impretion; Si je ne me reposois entièrement sur Vostre prudance je me verois obligé de vous avertir que de certains faits contenus dans ce manuscrit doivent êtres ou retranchéz tout à fait, ou du moins traitéz avec tous les ménagements imaginable, autremens vous poureriéz Vous exposér au Resentiments de La Cour Rusienne. On ne manqueroit pas de me soupsonnér de vous avoir fourni les anecdotes de cette Histoire, et ce soupson retombroit infailliblement sur l'auteur qui Les a compiléz. Cet ouvrage ne sera pas lu, mais tout le monde ne se lasera de Vous admirér.
Qu'une vie contemplative est diférante de ces vies qui ne sont qu'un tisu continuel d'actions? Un home qui ne s'ocupe qu’à pencér peut pencér bien et s'exprimér mal, mais un homme d'action quand il s'exprimeroit avec toute les grâces imaginables ne doit point agir foiblement; c'est une pareille foiblesse qu'on reprochoit au Roy d'Angletere Charles cegond: on disoit de ce prince qu'il ne lui étoit jamais échapée de parolle qui ne fût bien placée, et qu'il n'avoit jamais fait d'action qu'on pût nomér Louable. Il arive souvant que ceux qui déclament le plus contre les actions des autres font pirre qu'eux lorsqu'ils se trouvent dans les mêmes circonstances; j'ai lieu de craindre que cela ne m'arive un jour, puisqu'il est plus facille de critiquer que de faire, et qu'il est plus facille de donnér des préceptes que de les exécutér et après tout les Homes sont si sujets à se laisér séduire soit par la présomption soit par l’éclat de leur grandeur, ou soit par L'artifisses des méchants, que leur Religion peut estre surprise quand même ils auroit les intentions les plus intègres et les plus droites.
L'idée avantageuse que Vous vous fetes de moi ne seroit elle pas fondée sur celle que mon cher Cesarion vous en à donnée? Envérité on est bien heureux d'avoir un pareil ami! Mais après tout soufréz que je vous détrompe, et que je Vous facce en deux mots mon caractère pour que Vous ne Vous y mépreniéz plus, à condition toutefois que Vous ne m'accuseréz pas du défaut qu'avoit défeunt Vostre ami Chaulieux qui parloit toujours de lui même.
Fiez vous sur ce que je vais Vous dire.
J'ai peu de mérite, et peu de savoir, mais j'ai beaucoup de bonne Volonté et un fond inépuisable d'estime et d'amityé pour les personnes d'une vertu distinguée et avec cela je suis capable de toute la consstance que la vrai amityé exige. J'ai asséz de jugement pour Vous randre toute la justice que Vous méritéz, mais je n'en ai pas asséz pour m'empêchér de faire de mauvéz vers. Vous reseveréz de ces mauvéz vers en aséz bon nombre par le dernier paquet que je Vous ai adressé. La Henriade et Vos Magnifiques pièces de poésies m'ont engagées à faire quelque chose de samblable, mais mon desein est avorté, et il n'est que jusste que je resuces le correctif de celui dont m’étoit venue L'induction.
Rien ne peut égaller la reconnoissance que j'ai de ce que Vous vous êtes donéz la penne de corrigér mon ode. Vous m'obligéz sensiblement par là. Ausi ne sauroye aséz me louér de Vostre généreuse sincérité; mais comans pouroije remetre la main à cete ode après que Vous l'avéz randue parfaite? et comant pouroye suportér mon bégayement après vous avoir entandeu articullér avec tans de charmes? Si ce n’étoit abusér de Vostre amityé et de Vous dérobér de ces moments que Vous employéz si utillement pour le bien du public pouroije Vous pryér de me donnér quelque règles pour distinguer les mots qui convienent aux vers de ceux qui apartienent à la prosse? Depreau ne touche point cette matyère dans son art poétique, et je ne sache pas qu'un autre auteur en aye treté. Vous pouriéz Monsieur mieux que personne m'instruire d'un art dont vous faites l'honeur, et dont Vous pourjéz estre Nomé le père.
L'exemple de L'incomparable Emilie m'anime et m'encourage à L’étude. J'implore le Secours Des deux divinitéz de Cirey, pour m'aidér à surmontér les Dificultés qui s'ofrent dans mon chemein. Vous estes mes Lares et mes Dieux Tutélaires qui présidéz dans mon Licée et dans mon académie.
Il n'y a que Cesarion qui puit Vous avoir communiquéz des pièces de ma musique; je craind fort que des oreilles Françaises n'avont guères étées flatées par des sons Italiques, et qu'un art qui ne touche que les sens puisse plaire à des personnes qui trouvent tants de Charmes dans des plaisirs intelectuels. Si cependent il se pouvoit que ma musique aye eue Vostre aprobation, je m'angagerai Volontiér à chatouillér vos oreilles pourveu que vous ne Vous lassiéz pas de m'instruire.
Je Vous prie de saluér de ma part la Déesse Emillie et de l'assurer de mon admiration; si les Homes sont estimables de foulér aux pieds les préjugéz et les ereurs, les femes le sont encore davantage parce qu'Elles ont plus de chemein à faire avans que d'en venir là, et qu'il leurs faut plus destruire que nous avans que de pouvoir édifier. Que la Marquise du Chatlet est louable, d'avoir préféré l'amour de la vérité aux illusions des sens, et d'abandonér les plaisirs faux et pasagers de ce monde, pour s'adonnér entièrement à la recherche de la philosophie la plus sublime!
On ne sauroit réfutér Mons. Volf plus poliment que Vous le faites; Vous rendéz justice à ce grand Homme, et vous remarquéz en même tems les endroits foibles de son sisthème, mais c'est un défaut commun à tout sisthème d'avoir un côté moins fortifié que le reste. Les ouvrages des hommes se resentirons toujours de l'humanité, et ce n'est pas de leur esprit qu'il faut atendre des productions parfaites. Envain les philosophes combatront ils L'ereur, cet hidre ne se laise point abatre, il y paroissent toujours de nouvelle têtes à mesure qu'on en a terasées, et souvent il arive que des cendres d'une ereur en renaisent de nouvelles; en un mot le sisthème qui contient le moins de contradictions, le moins d'impertinances, et les absurditéz les moins grosières doit être regardé comme le meilleur.
Nous ne saurions exigér avec justisse que Mesieurs les Métaphisitiens nous donnent une carte exacte de leurs Empire. On ceroit bien embarasé de faire la description géographique d'un païs qu'on n'a jamais vu, dont on n'a aucune nouvelles, et qui est inaccessible; ausi ces Mesieurs ne font-ils que ce qu'ils peuvent; il nous débitent leur Romans dans l'ordre le plus géométrique qu'ils ayent pû imaginer, et leurs raisonnements semblables à ces toilles d'araigniées, sont d'une suptillité presque imperceptible. Si des Decartes, si des Locs, des Neutons, des Volfs n'ont pu devinér le mot de l’énigme, il est à croire et l'on peut même afirmér que la postérité ne sera pas plus heureuse que nous en ses Découvertes. Vous avéz considéré ces Sistèmes en sage, vous en avéz vu L'insufisance et Vous y avéz ajoutéz des réflextions très judicieuses. Mais ce trésort que je posédois par procuration est entre les mains d'Emilie, je n'auserois le réclamér malgré l'envie que j'en ai, et je me contenterai de Vous en faire souvenir Modestement, pour ne pas perdre la Valeur de mes Droits.
Envérité Monsieur, si la Nature a le pouvoir de faire une exeption à la règle généralle elle en doit faire une en Vostre faveur, et Vostre âme devroit estre Immortelle affin que Dieu pût estre le Rémunérateur de Vos vertus. Le Ciel vous a doné des gages d'une prédilection si marquée qu'en quas d'un avenir, j'ause vous répondre de Vostre félicité éternelle.
Cette lettre ici Vous sera remise par le Ministère de Tiriot. Je Vourois nonseulement que mon esprit ut des ailles pour qu'il pût se rendre à Cirey, mais je Voudrois encore que ce moi matériel, enfein ce véritable moi même en ut, pour Vous assurer de vive voye de l'estime infinie avec la quelle je suis,
Monsieur
Vostre très fidelle ami
Federic