à Remusberg ce 26 de Juin 1739
Mon Cher Ami,
Je souhaiterois beaucoup que Votre étoile erante se fixa, car mon imagination déroutée, ne sait plus de quel cauté du Braban elle doit vous cherchér.
Si cete étoile erante Pouvoit une fois dirigér Vos pas du Côté de Notre solitude, j'emploirois assurément tout Les Secrets de L'astronomie pour arêtér son cours, je me jeterois même dans L'astrologie, je prandrois le grimoire et je ferois des invocations à tout les Dieux et à tout les Diables pour qu'ils ne Vous permisent jamais de quitér ces Contrées.
Mais Mon cher Voltaire Ulise Malgré les enchantemens de Circé ne pensoit qu'à sortir de cette Ile où toute Les Caresses de la Déese Magisiene n'avoit pas tant de pouvoir sur son Coeur que le souvenir de sa Chère Penelope, il me paroit que Vous seriéz dans le cas d'Ulisse, et que Le Puisant souvenir de la belle Emilie, et l'atraction de son Coeur auroit sur Vous un empire plus fort que mes Dieux et mes Démons; il est juste que les Nouvelles amitiéz le sèdent aux Vieilles, je le sède donc à la Marquise, toute fois à condition qu'elle meintiene mes droits de cegond contre tout ceux qui Voudroyent me les Disputér.
J'ai crus que je pourois aller asséz vite dans ce que je m'étois proposé d'écrire contre Machiavel; mais j'ai trouvé que les jeunes gens ont la tête un peu trop chode; pour savoir tout ce qu’ on à écrit sur Machiavel, il m'a falu lire une infinité de Livres, et avans que d'avoir tout digéré il me faudra encore quelque tems; Le Voyage que nous allons faire en Prusse ne laisera pas que de causér encore quelque interuption à mes études, et retardera La Henriade, Machiavel et Eureale.
Je n'ai point encore réponse D'Angleterre, mais Vous pouvéz contér que c'est une chose résolue, et que La Henriade sera gravée; j'espère de pouvoir vous donnér des Nouvelles de cet ouvrage, et de l'avantpropos à mon retour de Pruse qui poura être vers le 15 d'aut.
Un prince oesif est selon moi un animal peu utille à L'Univers; je Veu dumoins servir mon siècle en ce qui dépend de moi; je veu Contribuér à L'Imortallité d'un Ouvrage qui est utille à L'Univers, je Veu multipliér un poème où L'auteur Ensegne le Devoir des Grands et le Devoir des poeuples; Une Magnière de Regniér peu conue des princes, et une façon de pensér qui auroit enoblie les Dieux d'Hommere autant que leur Cruauté et leurs Caprisse les à rendus méprisables; Vous faites un portrait Vrai, mais terrible des Guerres de Religion, de La Méchanseté des Prêtres, et des suites funestes du faux Zelle, ce sont des lesons qu'on ne sauroit asséz répéter aux hommes, et que leurs folies passéz devoient du moins rendres plus sages dans leur facon de se conduire à L'avenir.
Ce que je médite contre le Machiavellisme, est proprement une suite de La Henriade, c'est sur Les grands sentimens de Henri quatre que je forge la Foudre qui écrasera Cesar Borgia.
Pour Nisus et Eurealis, ils atandront que le tems et Vos Corections ayent fortifié ma Verve.
J'envoye par le L: Schiling Le Vin d'Hongrie sous l'adresse du Duc d'Arenberg. Il est sûr que ce Duc e[s]t le patriarche des bons Vivans, même il peut être regardé come père de La joye et des plaisirs, Silene L'a doué d'une phisionomie qui ne dément point son caractère, et qui fait conoitre en lui une Volupté aimable et décrasée de tout ce que la débauche à d'obsenitéz.
Si Superville est asséz Heureux pour Vous soulagéz je lui diras:
J'espère que vous respireréz en Braban un air plus libre qu'en France, et que la sécurité de ce séjour ne contribuera pas moins que les remèdes à la santé de Votre corps. Je Vous assure qu'elle m'intéresse beaucoup, et qu'il ne se passe aucun jour que je ne face des veux en Votre faveur à La Déesse de La santé.
J'espère que tout mes paquets Vous seront parvenus, mandéz m'en s'il vous plait quelque petit mots. On dit que les plaisirs se sont donnéz rendéz Vous sur Votre route.
on dit aussi:
Voilà une gazette Poétique, de la façon qu'on les fait à Remusberg. Si vous êtes friand de nouvelles je Vous en promets en prosse ou en vers come vous les voudréz à mon retour.
Mille assurances d'estime à La Divine Emilie, ma rivalle de votre cœur. J'espère que vous tiendréz les engagemens de Docillité que Vous avéz pris avec Superville. Cesarion Vous dit tout ce qu'un coeur come le sien pense lorsqu'il à été asséz heureux pour conoitre le Votre et moi je suis plus que jamais,
Votre très fidelle ami
Federic
Vous sentés bien Monsieur, qu'il seroit bien difficile à tout autre plus habile que n'est Cesarion, d'ajouter quelque chose de galant et de plus vray à tout ce que mon auguste Maitre vient de vous dire; mais je me sers de sa gracieuse permission pour Vous rapeler les avants derniers mots de La Lettre en vous suppliant de vouloir me croire et de Vous et de la divine Emilie
Le très humble et très dévoué serviteur
D. Keyserlingk