à Bruxelles, rue de la grosse Tour, 1 juin 1740
Vous m'avez envoyé, monsieur, les vers latins de quelques gens de l'Académie française, chose dont je suis peu curieux, & vous ne m'avez point envoyé la Chimie de Stahl, dont j'ai un très grand besoin.
Je vous prie instamment de me la faire tenir par la même voie que vous avez prise pour le premier ballot.
J'ai en main un manuscrit singulier composé par un des hommes les plus considérables de l'Europe: c'est une espèce de réfutation du Prince de Machiavel, chapitre par chapitre. L'ouvrage est nourri de faits intéressants & de réflexions hardies qui piquent la curiosité du lecteur & qui font le profit du libraire. Je suis chargé d'y retoucher quelque petite chose, & de le faire imprimer. J'enverrais l'exemplaire que j'ai entre les mains, à condition que vous le ferez copier à Bruxelles, où vous le ferez copier, & que vous me renverrez mon manuscrit; j'y joindrais une préface & je ne demanderais d'autre condition que de le bien imprimer, & d'en envoyer deux douzaines d'exemplaires magnifiquement reliés en maroquin à la cour d'Allemagne qui vous serait indiquée; vous m'en ferez tenir aussi deux douzaines en veau. Mais je voudrais que le Machiavel, soit en italien soit en français fût imprimé à côté de la réfutation, le tout en beaux caractères, & avec grande marge.
J'apprends dans le moment, qu'il y a trois petits livres imprimés contre le Prince de Machiavel. Le premier est l'Antimachiavel; le second, Discours d'état contre Machiavel; le troisième, Fragments contre Machiavel.
Il s'agirait à présent, monsieur, de chercher ces trois livrets, & si vous pouvez les trouver ayez la bonté de me les faire tenir; vous pouvez trouver des occasions; en tout cas la barque s'en chargera. Si ces brochures ne se trouvent point, on s'en passera aisément. Je ne crois pas que l'ouvrage dont je suis chargé ait besoin de ces petits secours.
Je suis monsieur, votre très humble & très obéissant serviteur,
Voltaire
A Bruxelles ce