1739-08-15, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].
Enfin hors du piège trompeur,
Enfin hors des mains assasines
Des charlatans que notre ereur
Nourit souvent pour nos ruines,
Vous quitez votre empoisonneur;
Du Tocai, des liqueurs divines
Vous serviront de médecines
Et je serai votre docteur:
Soit, j'y consens, si par avance,
Voltaire de ma consience
Vous devenez le confeseur.

Je suis bien aise d'aprandre que le vin d'Hongrie est arrivé a Bruxeles. J'espère d'être bientôt informé par vous même que vous en avez bû et qu'il vous a fait tout le bien que j'en atant; on m'écrit que vous avez donné une fête charmante à Engien au duc d'Aremberg, a Madame du Chatelet et à la fille du comte de l'Aunoi; j'en ai été bien aise, car il est bon de donner des exemples à l'Europe, que le savoir n'est pas incompatible avec la galanterie.

Quelques vieux pédants Radoteurs,
Dans leurs taudis toujours en cage,
Hors du monde et loin de nos mœurs,
Efarouchoient d'un air sauvage
Ce peuple fol, léger, volage
Qui turlupine les docteurs;
Le goût ne fut point l'apanage
De ces miserables rêveurs
Qui cherchoient les talens du sage
Dans les simples extérieurs,
Dans les rides de leurs visages
Et dans les frivoles honneurs
Du plus gros format d'un ouvrage.
Le peuple fait pour les ereurs,
Aux préjugez un apanage,
De tout savans crut voir l'image
Dans celles de ces plats auteurs.
Bientôt pour le bien de la terre
Le ciel daigna former Voltaire,
Lors sous des nouvelles couleurs
Et par vos talens anoblie
Reparut la philosophie
Dans un cercle d'admirateurs.
En pénétrant les profondeurs
Que Neuton découvrit à penne
Et dont cent auteurs à la genne
En vain furent comantateurs,
En suivant les divines traces
De ces esprits universels,
Agent sacré des imortels,
Vos mains sacrifièrent aux grâces,
Vos fleurs parèrent leurs autels.
Pesans disciples des Somaises,
Diséqueurs de graves fadaises,
Suivez ces exemples charmans,
Quitez la région frivolle
D'où l'air empesé de l'Ecole
A proscrit tous les agréments.

J'atans avec bien de l'impatience les actes suivans de Mahomet. Je m'en raporte bien sur vous, persuadé que cette tragédie singulière et nouvelle, brillera de charmes nouveaux.

Ta muse en conquérant a servit l'univers,
La nature a payé son tribut à tes vers,
Et l'Europe à ta gloire avoit longtemps fournie,
L'Afrique étoit domptée, il te faloit l'Asie.
Dans ses fertiles champs cours moisonér des fleurs,
Au théâtre françois combattre les erreurs
Et fraper nos Bigots d'une main indirecte
Sur l'auteur insolent de l'infidelle secte.

On m'avait dit que je trouverois la défaite de Machiavel dans les notes politiques d'Amlot de la Housai et dans la traduction du chevalier Gordon. J'ai lu ces deux ouvrages, judicieux et exelents dans leur genre, mais j'ai été bien aise de voir que mon plan étoit tout diférant du leur; je travaillerai à l'executer dès que je serai de retour. Vous serez le premier qui verez l'ouvrage, et le public ne le vera point à moins que vous ne l'aprouviez. J'ai cependant travaillé autant que me l'ont pu permettres les distractions d'un voyage et ce tribut que la naisence est obliger de payér à ce que l'on dit, à l'oisiveté et à l'enuis.

Je serai le 18 à Berlin, et je vous enverrai de là ma préface de la Henriade afin d'obtenir le sçaux de votre aprobation.

Adieu mon cher Voltère, faites s'il vous plait mes assurances d'estime à la marquise du Chatelet et grondez un peu le duc d'Aremberg de sa lenteur à me répondre. Je ne sai qui de nous deux est le plus ocupé mais je sais bien qui est le plus pareseux.

Je suis avec toute l'afection possible

Mon cher Voltaire Votre parfait ami

Frederic