1739-06-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste de Boyer, marquis d'Argens.

Si mes sentiments décidaient de mes marches, je serais allé à Mastreicht à la réception de votre lettre, mon cher ami; je vous aurais embrassés tous deux; j'aurais été témoin de votre nouvel établissement; j'aurais raisonné avec vous sur vos nouvelles vues.
J'ai fait ce que j'ai pu pour partir; mes amis me retiennent; on ne veut plus me laisser aller. Nous avons perdu une belle occasion dans la ville de Beringhe: nous n'étions qu'à huit lieues. Réparons donc ce contretemps & que j'aie la consolation de vous voir. Vous allez, dites vous, dans les pays chauds, mais qui sont ils, ces pays? Est ce la Provence, l'Italie ou l'Asie ou l'Afrique? Partout où vous serez, vous ferez honneur à l'esprit humain. Avant votre départ ne pourrions nous pas nous voir à St Fron? C'est la moitié du chemin. Pouvez vous vous arranger pour y être dans huit ou dix jours?

Je ne puis concevoir ce qui leur a donné la rage de se servir contre moi de mes bienfaits. Leur imbécillité a été dirigée par quelqu'un de bien méchant. Vous me feriez un grand plaisir d'écrire sur cela fortement à vos correspondants.

Si vous avez besoin de quelques pièces fugitives pour vos journaux, je suis à votre service.

Ce malheureux Rousseau est ici, mais il est toujours chassé de chez m. le duc d'Aremberg en punition de ses calomnies. Je donne demain un grand souper à mr le duc d'Aremberg: Rousseau n'y sera pas; mais je voudrais bien que vous y fussiez. Adieu. Faites toujours honneur aux belles lettres et ayez autant d'envie de me voir que j'en ai de vous embrasser.