1767-01-30, de Pierre Michel Hennin à Marie Louise Denis.

Mad.

Ne voilà t'il pas que vous et m. votre oncle ajoutez au déplaisirs qui m'assaillent de tous côtés! Vous mourez de faim, et qui le sçavoit?
M'en a t'on dit un mot de Ferney ? j'y aurois pourvû quand j'aurois dû envoyer mon carosse vous porter tous les jours votre provision. J'espère que tout sera réparé moyennant les passeports que j'envoye à M. votre oncle.

Il est un peu bien vif ce cher oncle avec ses Lettres et ses mémoires qui ne serviroient peut être qu'à lui attirer une éclaboussure de l'humeur qu'on a contre la ville de Calvin. Il vous communiquera sans doute Madame, la Lettre que je lui répons. J'espère qu'elle le Calmera.

Pour ce qui regarde vos Provisions, simplifions. Si elles sont addressées à Geneve, c'est à Colonge qu'on les arrêtera suivant l'arrangement que j'ai proposé à M. le Cher de Jaucour et alors il sera facile de les en tirer par les raisons que je marque à M. de Voltaire. Si elle parvenoient à Meirin même facilité. Un mot d'écrit fera l'affaire, mais il faut sçavoir l'addresse, le nom du voiturier, le jour et le lieu de l'arrivée et vous ne me marquez rien de tout cela.

Je ne répons md ni à vous ni à M. votre oncle sur vos projets de nous quitter parce que je ne puis pas sans chagrin m'arrêter à cette idée. Vous nous resterez, la neige disparoitra, les fleurs naitront, la paix sera rétablie à Geneve et nous ne nous souviendrons de tout ceci que pour nous convaincre que ce qu'on appelle les affaires, ne sont que le résultat souvent bizarre, toujours imprévû des passions des hommes depuis le sceptre jusqu'à la lime.

Tandis que comme je le vois vous boudez tous au coin de votre feu, moy chétif je suis du matin au soir occuppé de faire du bien et du mal à qui il appartient. J'écris, mais j'écris à en avoir la crampe. Je prêche à m'époulmoner. Versailles et Soleure me talonnent. Et puis des passeports, des femmes qui pleurent, des Raisonneurs, oh quels raisonneurs! Faites ceci, faites cela. Eh messieurs je fais de mon mieux pour que les pigmées ne se croyent pas des géans mais aussi….

Apropos vous ne sçavez pas que le sanhedrin Représentant vient d'acoucher d'une Confiteor? Je l'ai reçu fort gravement et vais l'envoyer au grand Pénitencier. Je m'attens que l'absolution ne sera pas donnée gratis, mais ce n'est pas mon affaire. Je crois que je n'ai pas à faire fléchir le genouil à leur orgueil politique. Il s'agit maintenant de travailler à accélerer la fin de la fièvre genevoise, et si j'y puis quelque chose vous jugez bien madame que je m'y porterai avec zèle ne fût ce que pour avoir le plaisir de vous voir plus souvent ainsi que toute votre maison, et de vous voir autre que vous n'êtes dans ce momentcy, car vous avez bien aussi votre petit cathare, mais j'espère qu'il se dissippera en usant du Bœuf de Geneve, des Truites &c. etc. relisant Zadig et notre ami Candide.

J'ay l'hr d'être &c.

M. votre Oncle vient de me faire part des nouvelles qu'il a reçues de Versailles. Vous voyez bien Madame que j'avois raison. Vous nous resterez, et Ferney redeviendra ce qu'il doit toujours être, l'azile de l'abondance et du bonheur.