Le 9e Jer 1778
Il y a un siècle, mon cher neveu, que je n'ay reçu de vos nouvelles et de celles de Madame D'Ornois.
Je crains que vous ne soiez tombés malades. Nous nous ferons un grand plaisir de vous avoir cet été. Je voudrais bien que nos nouveaux mariés fussent encor ici lorsque vous y viendrez. Je suis de jour en jour plus contente de la bonne fortune que nous avons procuré à Belle et bonne, le mariage réussit à merveille, et j'ose me flatter qu'ils seront heureux tous deux. Le marquis de Villette aime sa femme à la folie, il commence à détester la vie de garçon qu'il a mené, il veut avoir à Paris une bonne maison, n'y voir que des gens censés et des philosophes, aimer sa femme et ses enfans s'il en à, et enfin faire tout le contraire de ce qu'il a fait jusqu'à présent. Son caractère est bon et doux mais il est faible et toutes ses folies ne viennent que des gens qu'il voiait, et qui étaient plus fous que Luy. Dureste il est infiniment aimable, belle et bonne se conduit à merveille avec lui. Tout va bien, elle Espère que lorsqu'elle retournera à Paris, Madame D'Ornois voudra bien lui conserver ses Bontés. Elles ont toutes deux un caractère si doux et si aimable qu'il est impossible que ces deux dames n'aient de L'amitié L'une pour L'autre. Apropos vous avez Lu Irène. Il me semble que vous êtes bien sévère pour ce pauvre Aléxis. Mon oncle à craint en le rendant moins coupable qu'Irène ne devint une bégueule en refusant constamment de l'épouser. Il me semble qu'à la place de mon oncle je serai moins scrupuleuse, et que dans aucuns cas cette femme ne peut l'épouser puisqu'il est le meurtrier de son mary, mais il faut s'en rapporter à lui, il en sait plus que nous.
Vous pouvez Mon cher ami nous rendre un grand service, et mon oncle se joint à moy pour vous en prier. Il s'est réfugié dans notre colonie un homme nommé le Sergeant, de Noyelle, il se dit fils d'un prévot de la maréchaussée d'Abeville. Il était en 1759 dans le régiment d'Abbeville, il en à été dit-on chassé, et a été à Lile, et à Mons où il à fait un commerce qui à finî par une banqueroute et s'est venu réfugier icy. Il y à fait plusieurs coquineries, mon oncle à voulu le faire chasser, il à eut L'insolence de nous faire assigner mon oncle, et moi avec une trentaine de principaux habitans en réparation d'honneur. Je vous Prie en grâce de vous faire informer à Abbeville quel est cet homme, pourquoy il a été chassé de son régiment et si on ne sait rien de plus sur son compte. Je vous supplie en grâce Mon cher neveu de ne pas perdre un moment pour découvrir ce que vous pourrez sur cet homme et de nous le mander sur le champ. Nous vous en aurons mon oncle et moi La plus grande obligation. Ma santé se soutient quoique j'aie toujours un principe d'humeur de cathare dans la tête et dans la poitrine. Mon oncle est toujours comme vous l'avez vu; la neige lui donne de l'enroûment. Il travaille plus que jamais, il faut être à portée de le voir comme moi pour le croire. Vous avez actuellement un grand garçon car je le crois sevré. Plusieurs personnes qui ont vus vos enfans m'ont dit qu'ils étaient charmans, je voudrais bien être à portée de les embrasser ainsy que le père et la mère. Adieu mon cher neveu, nous parlons souvent de vous, nous vous aimons, vous et les vôtres, et nous vous demandons un peu de retour.
Mon cher ami je ne sçais plus où j'en suis, de ma vie, de ma santé, de mon existence, de d' Irene. Je passe mon hiver dans mon lit et je vous aime. Voilà tout ce que je sçais bien positivement. Je prends la liberté d'embrasser madame Dhornoi au commencement de cette année. On ne peut être plus étonné que je le suis d'avoir vu commencer 1778. Votre amitié me console d'être encor dans ce monde.
V.