Ce 19 [January 1778]
Mon cher et illustre maitre, vous êtes trop bon d'attacher quelque prix à mes réflexions.
C'est L'amitié qui me les a inspirées. M. Suard qui a lu la pièce Come Censeur des spectacles; M. Turgot à qui on a cru pouvoir La laisser lire sans vous déplaire pensent à peu près Come moi. Nous trouvons également que si vous daignez faire quelques corrections, et vous rendre sévère à vous même, il ne vous faudra qu'un peu de tems et de patience pour produire deux ouvrages qui feront époque dans La littérature. Je ne suis point surpris de L'effet que La lecture des deux pièces à faite à Fernei; J'y ai trouvé de quoi justifier L'enthousiasme et les larmes. Mais songez que vous nous avez accoutumé à La perfection dans les convenances, dans les caractères, come Racine nous avait accoutumés à La perfection dans le stile, que vous seul avez réuni les deux perfections, et que si on est sévère c'est votre faute. M. d'Argental fera ce que vous souhaitez.
J'ai reçu votre nouveau factum en faveur du genre humain. J'en avais déjà un éxemplaire que m. Bitaubé m'a apporté. Vous pouvez l'envoier par la poste à M. Turgot. C'est le plus beau sujet de prix qu'aucune académie ait proposé. Les petits enfans de Me La Duchesse d'Enville partiront vers la fin de février pour Geneve. Quoique très fâchés de quitter La maison paternelle l'espérance de vous voir les a presque Consolés. Je vous écrirai par eux sur quelques objets que je ne me soucie pas de comuniquer ni à La Canaille qui ouvre les lettres à La poste, ni à celle qui s'est opposée à L'abolissement de cette violation de toutes les loix de L'équité, et de la décense. Si les méchans voulaient bien s'abstenir seulement des infamies qui ne leur sont bones à rien le genre humain serait délivré de La moitié de ses maux.
Adieu, mon cher et illustre maitre, vous Connaissez mon respect et ma tendre amitié.
Je viens d'apprendre par M. d'Argental que vous vouléz que Nicéphore ne soit pas trop odieux. Il me parait que vous ne pouvez guères disculper Aléxis qu'en faisant de Nicéphore un tyran, et un Tyran qui a formé le projet de faire périr sa femme, projet dont L'arrivée d'Aléxis puisse seul empêcher L'éxécution. Le respect d'Irene pour son mari Coupable en serait plus intéressant, les espérances d'Aléxis un peu mieux fondées, et le sacrifice d'Irene d'autant plus intéressant qu'il ne serait plus absolument indispensable. Il ne s'agit pas de frapper juste mais de frapper fort. Vous souvenez vous de ce mot qui vaut Mieux que toute la poëtique d'Aristote?