Genève 30 Janvr 1767
Je vous répéterai Monsieur, ce que j'ai eû l'honneur de vous dire, que j'étois dans la ferme persuasion que vous ne manquiez de rien, votre Commissionnaire ayant la permission de venir à Geneve, et pouvant en exporter vos provisions comme à l'ordinaire.
Un mot de M. le Ch. de Jaucourt auroit abrégé toutes les difficultés, et de mon côté j'aurois fait tout ce qui étoit en moi pour diminuer l'embarras dans le quel vous vous trouviez.
Vos provisions arrêtées en venant de Lyon, si elles vous sont adressées directement doivent vous parvenir sans difficulté, autrement on iroit contre les intentions du Roi qui n'a pas pû vouloir que ses sujets habitans en France n'eussent pas la liberté des chemins. Si elles étoient adressées à des Genevois, vous vous trouvez comme tous les étrangers, comme moi même, dans le cas où une chassée se rompt et où rien ne peut passer.
Je n'examine point ce qu'on a pû espérer de l'interdiction des vivres pour Geneve, et je ne crois pas même que cet objet puisse opérer un grand effet pour le présent, mais ce n'est pas à nous à le dire, surtout dans ce moment.
Voici les deux passeports que vous demandez, le commissionnaire a déjà le sien ou une permission qui y équivaut. Je la renouvellerai s'il est nécessaire.
Vous me priez M. d'envoier votre lettre à la Cour. Je suis trop votre ami et je connais trop la façon de penser de M. le duc de Choiseul pour le faire. Vous pouvez être sûr qu'elle ne feroit rien changer aux dispositions générales; et puisque M. le Ch. de Jaucour et moi nous [nous] prétons volontiers pour vous à toutes les exceptions possibles, Je vous demande en grâce de vous en contenter. Tout ce qui vient de Geneve ou qui y a rapport est mal reçu dans ce moment cy. Croyez m'en; gardez aussi votre mémoire pour des tems plus heureux.
Les Représentans viennent de faire une démarche qui pourra diminuer l'aigreur qu'on a contre eux. C'est un orage passager dont vous souffrez et qui m'accable. Tâchons autant qu'il est possible de le dissiper. De votre côté je vous proteste que vous y contribuerez en ne portant point au Ministre des plaintes sur les mesures qu'il a crû devoir mettre en usage pour amener ce peuple avec raison.
Je vous parle avec franchise parce que je le dois à tous égards. Vous ne doutez pas, du moins je m'en flate, que je ne m'occupe de faire tout pour le mieux. Jugez si je désire que ce qui se passe ici n'altère en rien votre bonheur.
Il y a apparence M. que j'aurai l'honneur de vous voir ces jours cy, je pourrai vous en dire davantage sur des affaires aux quelles vous prenez intérêt. Recevez en attendant les assurances du tendre attachement que je vous ai voué pour la vie.
P. S. Dans le moment où je finis cette lettre M. je reçois la vôtre de ce matin, qui me fait un très grand plaisir. Tout finit comme vous voyez et le meilleur est de s'inquiéter le moins possible de ce qui est hors de nous. Je vous envoye néanmoins les deux passeports, parce que, pour la règle, il faudra que tous ceux de vos gens qui viendront à Geneve en ayent.