1770-06-29, de Pierre Michel Hennin à Étienne François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul.

Monseigneur,

 . . . En même temps que j'ai eu à me plaindre de la conduite du Magistrat dans ces différents cas, je l'ai trouvé très prompt à rendre justice lorsqu'il n'y a pas eû de Bourgeois en jeu, et cette rémarque seule fait voir en quoi la nouvelle constitution de Genève est vitieuse.
On a chassé ces jours cy les déserteurs françois que les officiers du Régiment de la Reine ont désignés pour s'être rétirés dans la Ville. Un Sergent et un Commis de la porte de France s'étant avisés de dire des injures contre M. de Voltaire en présence d'un grand nombre de témoins ils en ont été punis quoique le Commissionnaire de Ferney eût diminué leur tort par ses mauvais propos. M. de Voltaire avoit trouvé plaisant de m'impliquer dans les sottises de ces Messieurs mais aucun des témoins et deux de mes domestiques qui étoient présents n'ont rien entendu qui me compromit.

A ce sujet, Monseigneur, je dois avoir l'honneur de vous dire que j'ai appris que M. de Prais, Gentilhomme du Pays de Gex, ancien officier au Régiment de deux Ponts, a saisi le moment de l'émigration des natifs pour mettre sous vos yeux une querelle qu'il a eue à Genève au mois de novembre dernier. Cet officier à qui sa vivacité pour ne rien dire de plus a occasionné quelques affaires désagréables à Genève fut pris pour un de ses frères qui avoit fait un billet à un Genévois, on arrêta sa Voiture, il monta à l'hôtel de Ville, trouva un auditeur nommé Naville qu'il traita fort mal, l'auditeur le suivi où étoit la Voiture pour la lui faire rendre. Ils eurent ensemble à cette occasion une prise où sur ce que M. de Prais lui dit qu'il ne reconnoissoit que le Résident du Roy, M. Naville lui répondit que je n'étois pas encore le Maître dans Genêve, ce qu'il accompagna de forfanteries Républicaines faites pour me déplaire, d'autant plus que ce n'étoit pas la première fois qu'en bon Représentans il avoit parlé sur ce ton. Deux jours après M. de Prais vint me retrouver, je lui fis faire par écrit le récit de ce qui s'étoit passé qui n'est pas conforme à ce qu'il a exposé dans la plainte qu'il vous a addressée, puisqu'il vous applique ce que l'auditeur avoit dit à mon occasion. Cet officier n'aime pas plus les Genevois que ne fait M. de Voltaire, en causant ensemble ils se sont échauffés sur cette vieille histoire et elle leur a parû s'être passée comme ils vous l'ont représentée. M. de Caire même y a crû un moment sur la foy de M. de Voltaire.

Je ne vous en entretiens, Monseigneur, que pour vous montrer ce dont sans doute vous vous êtes déjà apperçû qu'en matière de faits on peut se défier des rélations de Ferney. Tout ami que je suis de M. de Voltaire je suis forcé d'en convenir. Quoique les propos de M. Naville ne fussent pas tels qu'on vous les a rendus je les trouvai aussi malhonêtes que déplacées, j'en portai mes plaintes. Le Conseil en prit connoissance. M. l'auditeur eut ordre de me venir faire des excuses. Je le reçus debout à la porte de mon Cabinet et j'affectai de le traiter avec une hauteur et une sécheresse à la quelle il fut sensible au dernier point. Depuis il a saisi toutes les occasions pour me faire oublier ce qui s'étoit passé, et dès le 7 de Janvier au repas des Syndics où il se trouvoit je lui dis pour faire la paix en présence d'un sindic et d'un de ses confrères, ‘M. si les Républicains sont sensibles, ceux qui ont l'honneur de parler au nom des Rois le sont cent fois plus, oublions ce qui s'est passé, je ne veux voir que des amis à cette table'. . . .

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect,

Monseigneur,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Hennin

P. S. M. le Mis de Jaucourt vient de passer quelques jours dans ce Pays cy. J'ai eu l'honneur de le voir plusieurs fois chez moi et ailleurs, il a pris sur Versoix des informations dont il se propose de vous rendre compte. Leur résultat est, Monseigneur, que ce projet ne demande que de la suite et quelque dépense pour que vous le voyez bientôt réussir au gré de vos souhaits. L'article des maisons est celui qui mérite le plus de faveur, et chaque jour de rétard à cet égard empêche quelqu'un de se fixer en ce lieu, qui seroit déjà considérable s'il eût été possible de distribuer les terreins au Printems.