1769-06-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Gabriel Le Clerc.

Je suis aussi sensible, mr, à votre prose qu'à vos vers; ils m'ont plu quoiqu'ils me flattent trop, mais entre nous le plus galant homme est toujours un peu faquin dans le cœur.

Il y a longtemps, mr, que je vous dois autant de félicitations que de remerciements sur les différents ouvrages que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Je les regarde comme le dépôt de [ce que] la physique, la morale, et la politique, ont de bon, d'essentiel, et de grand. Je n'ai pas été en état de vous payer mes dettes. Il y a près de deux mois que je suis malade; j'irai bientôt trouver votre bon empereur Yu et je me renommerai de vous en lui faisant ma cour. Je n'oublierai pas non plus de me mettre aux pieds de l'empereur Yon-Chin, qui a chassé si poliment les jésuites. En attendant conservez moi une amitié qui réponde à celle que vous m'avez inspirée. Vous réunissez, monsieur, les talents utiles et agréables, vous possédez une grande connaissance des hommes; puissiez vous donc, après avoir simplifié la médecine du corps et de l'esprit avec tant de succès, simplifier encore une autre chose dans laquelle on a mis tant d'ingrédients qu'on en a fait un poison! Cette tâche est digne de l'interprète de la nature et de l'apôtre de l'humanité.

Si jamais vous repassez par nos déserts, je me flatte que vous préférerez mon ermitage aux cabarets de Genève; vous y trouverez un homme qui vous est dévoué; ainsi point de cérémonies, s'il vous plaît, entre deux philosophes faits pour être amis.

J'ai l'honneur d'être etc.