1765-11-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Philippe Antoine de Claris, marquis de Florian.

Je suis très fâché, monsieur, que vous soyez arrivé si tôt à Paris; j'aurais bien voulu tenir encore chez moi longtemps monsieur et madame de Florian et m. de Florianet.
M. Tronchin est parti pour Paris; nous verrons si on le consultera. Madame d'Harcourt le suit dans un lit dont elle ne sortira point sur la route. On la déposera de cabaret en cabaret sous une remise ou un hangar, comme un ballot. Elle est ainsi que d'Aumart un terrible exemple du pouvoir de la médecine.

Je crois que vous ne vous intéressez guère aux affaires de messieurs de Genève. Une grande partie des citoyens est toujours fort aigrie contre les grandes perruques. On s'est assemblé aujourd'hui pour faire des élections, je n'en sais point encore le résultat. Mon devoir et mon goût sont ce me semble de jouer un rôle directement contraire à celui de Jean Jacques. J. J. voulait tout brouiller, et moi, comme bon voisin, je voudrais, s'il était possible, tout concilier. Il y a de part et d'autre des gens de mérite, mais ce sont des mérites incompatibles. Je reçois les uns et les autres de mon mieux; c'est à quoi je me borne. Il faut tâcher de ne pas ressembler au voisin Robert qui se trouvait fort mal d'avoir voulu raccommoder Sganarelle et sa femme.

Je me flatte que made de Florian est en bonne santé. J'ai beau faire des allées et des étoiles pour sa sœur, elle ne s'y promène point; elle a le malheur d'être à la campagne, et de n'en pas jouir. Je fais continuellement avec elle le repas du renard et de la cigogne.

Mes compliments, je vous prie, à votre beau-frère et à votre beau-fils. Si vous rencontrez quelque évêque, dites lui qu'il ne m'excommunie point; si vous rencontrez quelque conseiller du parlement, dites lui qu'il ne me brûle point au pied du grand escalier (comme la lettre circulaire de l'évêque de Rheims en présence de maître Dagobert Isabeau.

Adieu, monsieur; je vous embrasse, vous et madame votre femme, sans cérémonie et de tout mon cœur.

V.