1769-05-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian.

Ma chère nièce,

Je ne vous écris ni de ma main, ni de celle de Wagnière qui est à Genève; je n'ai point écrit à m. de Florian à Paris, parce qu'il n'y devait rester que quelques jours.
Je le crois actuellement auprès de vous. Les propositions qu'il me fait, me pénètrent de reconnaissance. Je ne sais encore quel parti je prendrai. L'hiver est funeste pour moi entre les Alpes et le mont Jura; mais comment transporter mon ménage ayant dans le château vingt huit personnes à nourir et faisant valoir la terre par moi même? La première chèvre qui dit qu'elle devait brouter où elle était née, avait grande raison; et ma situation me fait devenir chèvre. Le pis de l'affaire, c'est que je me suis lié moi même.

M. Dupuis est employé, comme vous savez, à deux cents francs par mois; il pourrait bien se faire qu'on l'envoyât en Corse et qu'il y servît dans l'état-major. La guerre ne sera pas bien méchante dans ce pays là, et l'hiver y sera doux. J'envierai son sort dans le temps des neiges. La position du petit Florianet me parait encore la meilleure, car il est le plus jeune de tous. J'ai bien bonne opinion de lui et de sa fortune.

Votre sœur a une très jolie maison vers le rempart. Le séjour de Paris est nécessaire à sa santé et à son goût. Elle supportait la campagne, elle ne l'aimait point. Je voudrais pouvoir vous rendre toutes deux heureuses à Paris, c'est mon unique passion.

Vous verrez probablement cet hiver l'opéra de Pandore de m. de La Borde. J'aurai du moins contribué quelque chose à vos amusements.

Il me tombe peu de nouveautés des pays étrangers entre les mains. Il y a si longtemps que je ne vous en ai envoyé, que j'ai oublié l'adresse que vous m'aviez donnée.

Adieu, mes très chers Picards, je vous embrasse avec la tendresse la plus vraie et la plus constante.