4 janvier 1769
Je remercie tendrement la dame picarde, et le seigneur devenu picard, de leur souvenir.
Comment ne leur saurai je pas bon gré d'aimer la campagne, moi qui achève ma vie dans une solitude dont il n'y a d'exemple que chez les chartreux. Je les loue et les révère d'être détrompés des illusions de Paris, et de sentir tout le néant du tumulte.
Comme j'ai toujours cru, mes chers habitants d'Ornoi, que vous étiez prêts à revenir passer votre hiver à Paris, je ne vous ai point adressé en Picardie cette histoire où vous verrez l'étonnant et fatal traité de Louis XIV et de l'empereur pour accabler leur parent le roi d'Espagne, et pour partager les dépouilles d'un enfant; la révélation de la confession du roi d'Espagne Philippe v par le jésuite d'Aubenton, la belle réponse du maréchal de Luxembourg à ses juges qui l'interrogeaient à la Bastille; la bataille de Fontenoi, dans la plus exacte vérité, et dans les derniers détails; le procès infâme fait à la Bourdonnais, trois ans d'une prison cruelle pour unique récompense d'avoir pris Madrass, et d'avoir seul vengé le pavillon de France dans les Indes; les anecdotes très véritables qui ont conduit sur l'échafaud le très brutal et très innocent Lalli &a.
J'ai prié le libraire Panckoucke de vous présenter un exemplaire. Il y a longtemps que je ne me sers plus de la voie que vous m'aviez indiquée, parce que j'ai su qu'il y avait des gens qui goûtaient les sauces dans les plats que je vous servais.
Je vous demande avec les plus vives instances la continuation de votre amitié, la mienne est pour le peu de vie qui me reste.