24e xbre 1773
Vous m’avez fait passer, Monsieur, un quart d’heure bien agréable.
Celà ne m’arrive pas souvent. J’aime mieux voir Alexis Fontaine dans vôtre ouvrage qu’en original. Je l’ai entrevu autrefois. Il fit un voiage de sa terra à Paris sur un âne comme les prophêtes juifs; son portemanteau était tout chargé d’x x que ces prophêtes ne connaissaient pas. Vous tirer aurum ex stercore Ennii. Bernard De Fontenelle en tirait quelquefois du clinquant. Vous nourissez et vous embellissez la sècheresse du sujet par une morale noble et profonde qui doit faire une grande impression, qui ne corrigera ni Frèron, ni Clément, ni Sabotier, mais qui enchantera tous les honnêtes gens.
Ce qui m’étonne c’est que Fontaine aimât Racine. C’est le plus bel éloge qu’on ait jamais donné à ce grand poëte.
J’ai connu dans mon enfance un chimiste nommé La Ligerie, c’est lui de qui nous vient la poudre des chartreux. On le mena un jour à Phèdre; il se mit à rire à la première scène, et il s’en alla à la seconde.
L’avanture de Fontaine et de son avocat me parait beaucoup plus plaisante. Si vous avez besoin de vôtre copie, Monsieur, je vous la renverrai en vous demandant la permission d’en faire une pour moi qui ne sortira pas de mes mains.
Je ne sais si vous avez fait de nouvelles découvertes en mathématiques; j’ignore même si on en peut faire de grandes. Mais il me semble que vous en faittes dans le cœur humain, ce qui paraissait tout aussi difficile.
Le mauvais plaisant de Grenoble qui s’était un peu égaié sur les comettes, est bien obligé au grand philosophe quelqu’il soit d’avoir daigné prendre le parti de ses oreilles contre d’autres oreilles.
Continuez, Monsieur, à protèger la raison, qui est toujours persécutée en plus d’un genre. Le petit troupeau des gens qui pensent n’en peut plus. Vous savez qu’il y a des gens puissants qui ressemblent au docteur Balourd. Ce docteur ne voulut jamais d’autre valet que le balourd Arlequin, parce qu’il s’imaginait qu’Arlequin ne pourait jamais découvrir ses turpitudes, et il se trompa. Des gens d’esprit l’auraient beaucoup mieux servi qu’un sot. Puissiez vous avec Monsieur D’Alembert, détromper les docteurs Balourd! Peut être à vous deux formerez vous un nouveau siècle. Je quitterai bientôt le mien en vous regretant tout deux, et en emportant dans le néant ma très respectueuse amitié pour vous.
V.