20e auguste 1774, à Ferney
Mon cher prélat, vous avez lu la lettre d'un théologien à l'abbé Sabotier, qui fait, dit-on, très grand bruit dans Paris?
Je l'ai lue, et j'ai vu avec douleur que l'auteur, ou les auteurs, vous rendent bien peu de justice. On y lit, page 35, que vous ne vous êtes fait connaître que par des boufoneries ordurières. Celà est faux; vous avez écrit des choses galantes avec beaucoup d'agrément, mais jamais d'obcènes.
L'auteur a très bien fait, à mon gré, de tomber sur un vil scélérat tel que l'abbé Sabatier. Mais il a très mal fait d'insulter des hommes qui méritent autant de considération ques vous. Il a beaucoup plus mal fait de parler du clergé avec tant d'indécence et de fureur. Il a encor plus mal fait d'oser dire en France, page 82, Que les rois tiennent leur autorité du peuple. On lui répondra que le Roi tient sa couronne de soixante et cinq rois ses ancêtres.
Il y a dans cette brochure des plaisanteries qui ont réussi, et sur la fin une violence qu'on appelle de l'éloquence, mais il y a une folie atroce à insulter cruellement tout le clergé de France à propos d'un abbé Sabotier. L'auteur prend ma déffence; j'aimerais mieux être outragé que d'être ainsi deffendu. Je suis très affligé qu'on ait fait un tel ouvrage. L'abbé Sabotier au sortir des cachots de Strasbourg méritait les galères. Ceux qui sont assez insensés pour rendre l'Eglise de France responsable des sottises de Sabotier, méritent les petites maisons. Voilà ma façon de penser. Elle est aussi inébranlable que mon amitié pour vous.
Adieu mon très cher confrère. Les horreurs de la Littérature empoisonnent la fin de ma vie.
V.