aux Délices 8 may [1758]

Mon cher et ancien ami, il me parait qu'on n'est pas plus instruit du secret de l'historiografe de toutes les Russies que de celuy de la pucelle.
Ce sont les mistères de mon gouvernement. Si vous voulez y être initié vous n'avez qu'à venir dans ma chancellerie. Mais je suis bien sûr qu'on ne quitte point de jeunes et belles et brillantes baronnes crétiennes pour des suisses hérétiques.

L'énigme de madame la duchesse d'Orleans est une attrape-Foncemagne. Ce n'est pas la première fois que les belles se sont moquées des savants. Voicy comme on pourait lui répondre en assez mauvais vers:

Je seray fort aise que Marmontel qui a certainement de l'esprit et du talent et qu'on a dégoûté fort mal à propos ait au moins le bénéfice du mercure. Ce sera un antidote contre les poisons de Fréron. Je doute fort que ceux qui vous ont dit que Freret a mis Neuton en poudre, soient des connaisseurs. J'ay lu autrefois le manuscrit de Fréret. Il fut composé avant que le sistème du Neuton fût imprimé. Freret et le jésuitte Souciet autre savantasse, écrivirent tout deux contre Neuton sur un faux exposé de son sistème qui parut alors dans un de ces journaux dont l'Europe est accablée. Fréret ne savait ce qu'il disait. J'ignore s'il l'a mieux sçu depuis. Je feray venir ce livre pour le joindre à tout ce que j'ay sur cette matière.

Il y a une excellente histoire des finances depuis 1595 jusqu'à 1720. Si vous rencontrez l'auteur, qui est un m^r des Fournèz, directeur des monoyes, dites luy que je le fais controlleur général des finances.

Pouriez vous à votre loisir me faire un petit catalogue des bons livres qui ont paru depuis dix ans? Je crois qu'il sera court. Mais je veux avoir tout ce qui peut être utile, et mêmes les livres médiocres dans les quelles il y a du bon. Car on peut toujours tirer aurum ex stercore Ennii. Interim vale, et mihi scribé.

V.