1760-07-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Florence Pétronille La Live, marquise d'Épinay.

Voicy ma réponse, madame, à une Lettre très injuste adressée à nôtre Cher docteur et qu'il vient de m'envoyer.
Je vous en fais tenir Copie; comptez que c'est la loi et les prophêtes.

Je sçais mieux que personne ce qui se passe à Paris et à Versailles, au sujet des philosophes: si on se divise, si on a de petites faiblesses, on est perdu. L'infâme et les infâmes triompheront. Les philosophes seraient-ils assez bêtes pour tomber dans le piège qu'on leur tend? Soiez le lien qui doit unir ces pauvres persécutés.

Jean Jaques aurait pû servir dans la guerre, mais la tête lui a tourné absolument. Il vient de m'écrire une Lettre dans laquelle il me dit que j'ai perdu Genêve. En me parlant de Mr Grimm, il l'appelle, un allemand nommé Grimm. Il dit que je suis cause qu'il sera jetté à la voirie quand il mourra, tandis que moi je serai enterré honnorablement.

Que voulez vous que je vous dise Madame? il est déjà mort; mais recommandez aux vivants d'être dans la plus grande union.

Je me fais anathême pour l'amour des persécutés, mais il faut qu'ils soyent plus adroits qu'ils ne sont; l'impertinence contre made de Robec, la sottise de lui avoir envoyé la vision, la barbarie de lui avoir apris qu'elle était frappée à mort, sont un Coup terrible qu'on a bien de la peine à guérir; on le guérira pourtant et je ne désespère de rien si on veut s'entendre. Je me mets à vos pieds ma belle philosophe.