1761-05-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à conte Francesco Algarotti.

Si je suivais mon goût, j'écrirais toutes les semaines au Cigne de Padoüe, mais un vieux malade ne fait pas tout ce qu'il veut, la vieillesse est le partage des désirs impuissants.
J'ai pourtant écrit une Lettre de quatre pages en envoiant un petit paquet, qui doit être parvenu à Venise. Je crois que mon Cigne fait actuellement entendre ses chants mélodieux à Boulogne; pourait-il avoir la bonté de me mander, si en Italie c'est la coutume de jetter à la Voirie les acteurs qui ont joüé les Opera de Mètastasio? C'est une querelle qui se renouvelle actuellement en France; nous prétendons qu'on ne doit point refuser la sépulture à des Citoiens qui sont aux gages du Roy; il est plaisant qu'on enterre le bourreau avec cérémonie, et qu'on ait jetté à la voirie Mlle Le Couvreur. Je sçais bien que les Rituels de L'Italie et des Gaules sont les mêmes, je sçais que dans les uns et dans les autres on excommunie les sorciers, les farceurs qui vendent de L'orviétan dans la place publique pendant la messe, les sauterelles, et ceux qui ne paient pas les dixmes à L'Eglise; mais vous êtes plus sages que nous, vous laissez dormir les loix ridicules, faittes dans les temps de barbarie, et nous sommes assez barbares pour réveiller ces loix; c'est que nous avons des Jansénistes, et que vous n'en avez point. Les gouvernements tranquiles sont modérés; et les gouvernements contredits sont de mauvaise humeur.

Je fais ce que je peux pour rendre les Jésuites et les Jansénistes ridicules. Dieu bénit quelquefois mes petits soins. S'il voulait bénir aussi les jardins que j'ai plantés, il me ferait grand plaisir, mais nous avons nous autres allobroges des vents de bize, que vous autres Bolonais ne connaissez pas. Sans cet abominable vent du nord, qui gâte tout, nôtre petit païs vaudrait mieux que celui du Pape. Nous allons avoir la paix, ferez vous un petit tour à Sans souci? Pour moi je ne crois pas que je refasse le voiage. Bon soir, le plus aimable des hommes; je suis le plus malingre, mais je ne suis pas le plus triste. Vi abbraccio teneramente.

V.