aux Délices 19 juin 1760
Vous devez encor une fois mon cher et ancien ami avoir reçu ma réponse et mes remerciments et la liste de mes besoins par mr Darboulin à qui je l'ay recommandée.
Mr Dalembert suppose toujours que j'ay tout vu. C'est une règle de fausse position. Je n'ay rien vu. Je n'ay point le memoire de MonR Lefranc de Pompignan. Je demande l'interprétation de la nature, la vie heureuse de l'infortuné la Métrie etc. etc. Je payerai tout loyalement. Je réitère mes sanglots sur la vision. Cette vision est celle de la ruine de Jerusalem. Voylà la philosophie perdue, et en horreur aux yeux de ceux qui ne l'auraient pas persécutée. O ciel, attaquer les femmes! insulter à la fille d'un Montmorenci! à une femme expirante! Je suis réellement au désespoir.
Mr Dalembert croit m'apprendre que M. le D. De Ch. protège Palissot et même Fréron. Hélas j'en sçais plus que luy sur tout cela, et je peux répondre que M. le D. de Ch. aurait protégé davantage les pauvres Socrates, et je vous prie de le luy dire. Il m'écrit que les philosophes sont unis, et moy je luy soutiens qu'il n'en est rien. Quand ils souperont deux fois par semaine ensemble je le croirai. On cherche à les diviser, on va jusqu'à m'appeller l'oracle des philosofes pour me faire brûler le premier, on ose dire dans la préface de Palissot que je suis au dessus d'eux, et moy je dis, j'écris qu'ils sont mes maitres. Quelle comparaison bon dieu des lumières et des connaissances des Dalembert et des Diderot avec mes faibles lueurs! Ce que j'ay au dessus d'eux est de rire et de faire rire aux dépends de leurs ennemis. Rien n'est si sain. C'est une ordonance de Tronchin. Ecrivez moy mon ancien ami. Voyez Protagoras Dalembert, et venez aux Délices.
V.