1760-07-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Mon cher philosophe j'ay la vanité de croire que vous avez la même idée que moy, vous voulez que Diderot entre à l'académie.
Vous le voulez et il faut en venir à bout. Ne craignez point du tout que M. le D. de Ch. vous barre. Je vous le répète et je ne vous trompe pas, il se fera un mérite de vous servir vous et les penseurs. Quoy, vous imaginez qu'il vous en veut parce qu'il a donné du pain à Palissot, fils de son homme d'affaires, et qu'il a souffert dans son antichambre son ancien préfet Fréron! Il a laissé jouer la palissoterie, pour rire, pour complaire à l'extravagance d'une pauvre malade. Je vous jure que si cette malade était morte le jour de la représentation jamais l'auteur de la vision n'eût été à la Bastille. D'ailleurs il abandonne Palissot aux coups de bâton si quelqu'un veut prendre la peine de luy en donner. Il y a très grande apparence qu'il protégera Diderot. Il ne sera pas difficile d'avoir pour nous made de P. L'évêque d'Orléans ne parlera pas contre luy comme eût fait le mage Yebor qui signait toujours l'âne évêque de Mirepoix au lieu de signer l'anc. Il croiait mettre l'abbréviation d'ancien, et il signait son nom tout au long.

En un mot il faut mettre Diderot à l'académie. C'est la plus belle vangeance qu'on puisse tirer de la pièce contre les philosophes. L'académie est indignée contre le Franc de Pompignan. Elle luy donnera avec grand plaisir ce souflet à tour de bras. Je feray un feu de joye lorsque Diderot sera nommé et je l'allumerai avec le réquisitoire de Joli de Fleuri, et le déclamatoire de le Franc de Pompignan. Ah qu'il serait doux de recevoir à la fois Diderot et Helvetius! Mais notre siècle n'est pas digne d'un si grand coup. Bon soir âme ferme que j'aime.

J'ay depuis six mois une envie de rire qui ne me quitte point. Ne pourais-je avoir quelques anecdotes sur Gauchat, Moreau, Chaumex, Hayer, Trublet et leurs complices?