1774-04-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Alexandre Marie François de Paule de Dompierre d'Hornoy.

Le malade octogénaire fait ses tendres compliments au seigneur Picard, à la Dame Picarde, et aux deux petits picards.

Vraiment ce serait une chose fort honnête à vous mon cher seigneur d’Hornoy, de venir voir vôtre Ferney avant que je le quitte pour jamais. On prend toujours congé de ses parents qu’on aime quand on va faire un long voiage. Je n’ai pas la force d’aller en Picardie. Mais vous qui vous portez si bien, et qui êtes gras comme un moine vous ne me priverez pas sans doute de la consolation de vous embrasser. Vous pouriez trouver chez moi une personne de vôtre païs, à qui vous pouriez être de quelque utilité, et ce dernier motif serait encor une raison de plus pour vous de transporter vôtre grosse figure vers mon squelette, et de quitter pour quelque temps vos tristes et fangeuses campagnes pour l’admirable vue du lac de Genêve. Je laisse à Madame Denis le plaisir de vous en dire d’avantage. Je n’ose prendre la liberté de baiser Madame D’Hornoy des deux côtés, parce que dans l’état où je suis j’ai la discrétion de n’embrasser personne. Je ne peux non plus vous serrer entre mes bras attendu vôtre grande circonférence, mais je vous aime de tout mon cœur, et c’est de tout mon cœur que je vous le dis.

V.