à Ferney 8^e avril 1769

Voicy le tems où les Picards vont jouïr d'une douce tranquilité dans leurs terres.
Je souhaitte un bon voiage à la Dame et au seigneur d'Hornoy, beaucoup de santé, de plaisirs et de comédies.

Vous savez que celle de l'élection du vicaire de s^t Pierre est présque finie à Rome, mais ce que vous ne savez pas, c'est que j'ai prèsque autant de port que le saint esprit à l'élection de Stopani. Le Colonel du Régiment des Deux ponts et mad^e sa femme, avaient absolument voulu me voir. Mad^e Cramer les amena chez moi il y a environ deux mois; elle força les barrières de ma solitude. Après diner pour nous amuser, nous jouâmes le pape aux trois Dez; je tirai pour Stopani, et j'eus rafle.

Comme je jouais avec des hérétiques il était bien juste que je gagnasse.

Dans la vieillesse on tolère la vie, et dans la jeunesse on en abuse. Ainsi tout est vanité, à commencer par le pape et à finir par moi.

J'ai eu douze accès de fièvre, je n'ai vu de médecin qu'une seule fois; j'ai envoié chercher le saint viatique, et je suis guéri. Je fais des papes et des miracles.

J'enverrai à Hornoy tout ce qui poura amuser mes chers Picards. Mad^e Denis doit avoir recommandé une petite affaire à M^r D'Hornoy que j'embrasse tendrement, ainsi que son oncle le Turc.