1769-04-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, je n'ai point entendu parler des remarques de L'aréopage.
Je les attendrai très patiemment. L'état où je suis ne me permettrait guères actuellement, de m'occuper d'un travail qui demande qu'on ait tout son esprit à soi. J'ai toujours un peu de fièvre depuis six semaines, et j'en ai essuié dix accès assez violents. On en rira tant qu'on voudra; mais j'ai été obligé de faire au dixième accez ce qu'on fait dans un diocèse ultramontain. Quand cette cérémonie passera de mode, je ne serai pas assurément un des derniers à me déclarer contre elle; mais je ne vois pas qu'il faille se faire regarder comme un monstre par les barbares, au milieu desquels je suis, pour un mince déjeuné. C'est d'ailleurs un devoir de citoien. Le mépris marqué de ce devoir aurait entrainé des suittes désagréables pour ma famille. Vous savez ce qui est arrivé à Boindin pour n'avoir pas voulu faire comme les autres. Il faut être poli, et ne point refuser un diné où l'on est prié, parce que la chère est mauvaise.

On m'assure que Stopani est Pape; il me doit assurément sa protection, car il y a deux mois que nous jouâmes aux trois dés la place vacante du st Siége, je tirai pour Stopani et j'amenai rafle.

Vous avez eu la bonté de m'envoier une Lettre de mr Bachelier. Comme je ne sais point sa demeure, voulez vous bien me permettre de vous adresser ma réponse?

Je me flatte que madame d'Argental est en bonne santé; conservez la vôtre, mon cher ange, jouïssez d'une vie agréable; quand je finirai la mienne ce sera en vous aimant.