1769-05-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Joachim de Pierres, cardinal de Bernis.

Puisque vous êtes encor, Monseigneur, dans vôtre caisse de planches en attendant le saint Esprit, il est bien juste de tâcher d'amuser vôtre Eminence.

Vous avez lu sans doute actuellement les quatre saisons de mr De st Lambert. Cet ouvrage est d'autant plus précieux qu'on le compare à un poëme qui a le même titre, et qui est rempli d'images riantes tracées du pinceau le plus léger et le plus facile. Je les ai lus tout deux avec un plaisir égal. Ce sont deux jolis pendants pour le cabinet d'un agriculteur tel que j'ai l'honneur de l'être. Je ne sais de qui sont ces quatre saisons à côté desquelles nous osons placer le poëme de Mr De st Lambert. Le tître porte par M: Le C. De B. C'est aparamment Mr Le Cardinal De Bembo. On dit que ce Cardinal était l'homme du monde le plus aimable; qu'il aima la littérature toute sa vie; qu'elle augmenta ses plaisirs ainsi que sa considération et qu'elle adoucit ses chagrins s'il en eut. On prétend qu'il n'y n'y a actuellement dans le sacré collège qu'un seul homme qui ressemble à ce Bembo, et moi je tiens qu'il vaut beaucoup mieux.

Il y a un mois que quelques étrangers étant venus voir ma cellule, nous nous mimes à jouer le pape aux trois dés. Je jouai pour le Cardinal Stoppani, et j'amenai Rafle. Mais le st esprit n'était pas dans mon cornet. Ce qui est sûr, c'est que l'un de ceux pour qui nous avons joué sera Pape. Si c'est vous, je me recommande à vôtre sainteté. Conservez, sous quelque tître que ce puisse être vos bontés pour le vieux laboureur.

V.

Fortunatus et ille deos qui novit agrestes.